Jean-François Driant : « Nous portons cette histoire avec beaucoup d’humilité, une sorte de fierté et un sens du devoir »

photo : Benoït Decout

L’histoire du Volcan commence le 24 juin 1961 avec l’ouverture de la Maison de la culture, la première en France. L’inauguration se déroule en présence d’André Malraux, alors ministre de la Culture. Un jour important puisqu’il marque également une volonté d’une culture pour tous et de la décentralisation. Retour sur cette histoire avec Jean-François Driant, directeur du Volcan, devenu une scène nationale du Havre en 1991.

Est-ce que cette ouverture de la première maison de culture au Havre se déroule dans un contexte particulier ?

Il fallait un déclencheur, un point de départ. La convergence de plusieurs probabilités a fait que cette ouverture s’est déroulée au Havre. La guerre n’est pas si loin. La ville, en chantier, est un laboratoire à ciel ouvert. Elle est aussi désireuse de culture. En 1961, nous sommes au début d’une décennie particulière. On veut vivre autrement. On revendique. Cela entraine des bouleversements considérables. Cette Maison de la culture est un petit morceau de ce grand détonateur.

Dans son discours, Malraux a ces phrases inoubliables : « il n’y a pas une maison comme celle-ci au monde, ni même au Brésil, ni en Russie, ni aux États-Unis. Souvenez-vous, Havrais, que l’on dira que c’est ici que tout a commencé ».

Il a prononcé un discours très court qui est resté avec ces phrases extraordinaires. C’est bien que les gens les connaissent.

Était-ce une utopie, la culture pour tous ?

Elle était là. Malraux était écouté avec bienveillance par les parlementaires et De Gaulle. Le lancement du programme des maisons de la culture ne pouvait qu’être long et difficile pendant cette décennie. L’État allait pouvoir créer sur le territoire un mouvement qui n’avait pas de fin. L’objectif était de créer des liens entre les artistes et le public. Aujourd’hui, il reste encore des endroits sans ces maisons.

Quel était le programme de Malraux ?

Ce que je comprends de la grande idée de Malraux était de rassembler les arts au même endroit. On donnait la possibilité à un garçon ou une fille de 15 ans, quel que soit son parcours, de tomber amoureux d’une œuvre d’art en venant voir un film. Il y a eu ensuite à Grenoble une idée plus ambitieuse. Là, il y avait des spectacles et des concerts. C’est la version la plus utopique du projet. On donnait à chacun la possibilité de découvrir le spectacle vivant. Il y a eu ensuite l’émergence des centres dramatiques nationaux, des centres des arts du cirque, des centres chorégraphiques nationaux.

Qu’a-t-on fait de cette utopie au fil du temps ?

Cette utopie s’est frottée à une réalité. La culture s’est considérablement développée pour devenir une industrie. Il y a un vrai challenge. Des modèles naissent. C’est aussi la période de l’essor de la télévision. Il y a un certain frottement. Cependant, faire du théâtre dans les années 1960, 1980, 2000 ou 2020 n’a pas évolué d’une façon extraordinaire. Nous sommes passés dans une société qui est encore dans celle du loisir. Tout cela était en germe. Il y a des modèles en parallèle : un privé et un public, plus singulier, qui offre une liberté aux artistes.

Est-ce que les Havrais et les Havraises ressentaient une certaine fierté en 1961 ?

Il y avait plus qu’une fierté. C’était un sujet politique qui concernait une vaste population. Il y a eu une mobilisation ouvrière.

Est-ce que l’esprit de cette utopie plane au Volcan ?

Oui, il est toujours là. Quand on entre dans ce bâtiment, cela vous tombe dessus parce que ce lieu a une âme. Il est là parce qu’il y a un renouvellement doux de l’équipe du Volcan. Les personnes qui la composent sont fascinées par cette histoire et conservent cet esprit. Cette utopie est d’autant plus forte, l’espoir est d’autant plus grand que tout était neuf. On avait la vie devant soi. On avait envie d’en découdre avec le monde. Et les gens avaient envie de venir au Volcan au Havre. Toute cette histoire est encore bien présente. Il faut dire que le site du Volcan est incroyable.

Comment portez-vous cette histoire ?

Nous portons cette histoire avec beaucoup d’humilité, une sorte de fierté et un sens du devoir. C’est un héritage que nous avons à cœur d’entretenir. Cela passe par une certaine prise de risque, un accompagnement des artistes, un soutien à la création avec des chefs-d’œuvre et des productions ratées. Le Volcan est aussi une fenêtre ouverte sur le monde. Nous accueillons des artistes de la région, de toute la France, de l’Europe et de toute la planète. Nous travaillons dans un bâtiment d’une grande architecture, construit dans une ville moderne. La programmation doit être aussi moderne.

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