Denis Podalydès : « ce texte est un parcours sensoriel très intérieur »

photo : Aglaé Bory

Denis Podalydès est seul sur scène. Il joue cet homme qui a perdu le fil de sa vie après un attentat. Le voilà immobile devant une fenêtre face à la mer à Ostende. Il tente de mettre des mots sur cette tragédie et de se souvenir de ce drame qui a laissé des traces dans son corps. Le comédien et metteur en scène, sociétaire de la Comédie-Française, a reçu ce texte, La Disparition du paysage, de Jean-Philippe Toussaint, écrivain et réalisateur belge. Il a ensuite demandé à Aurélien Bory, fondateur de la compagnie 111, de le mettre en scène. Entretien avec Denis Podalydès qui joue vendredi 20 mai au Rive Gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Quand un auteur vous confie un texte. Est-ce comme recevoir un cadeau ?

C’est un cadeau et une responsabilité qu’il vous donne. Le cadeau arrive à la fin si tout se passe bien. C’est le cas avec ce texte. Avant tout, c’est une responsabilité. Jean-Philippe Toussaint m’a confié ce texte en me disant : je le publierai quand vous l’aurez joué. Je l’ai lu avant de le laisser reposer pendant quelques mois. Je l’aimais beaucoup mais je n’étais pas sûr de pouvoir l’embarquer au théâtre.

Pourquoi ?

Parce que le texte était écrit au passé. Par ailleurs, il traverse des sensations, a une beauté abstraite. Et cette abstraction littéraire me semblait difficile à faire entendre autrement qu’en lecture. J’ai alors suggéré à Jean-Philippe Toussaint de tout mettre au présent. J’ai appris le texte et j’ai eu une intuition. J’ai demandé à Aurélien Bory, qui sait créer avec ses spectacles des expériences oniriques, de le mettre en scène. Comme il a un côté ingénieur, il invente toujours des systèmes et des dispositifs.

Dans ses spectacles, Aurélien Bory imagine des espaces très contraints pour les interprètes.

J’adore les contraintes. Elles permettent une liberté créatrice. Je suis paralysé en absence de contraintes. Avec Aurélien, nous avons commencé à travailler alors qu’il n’avait rien élaboré, ni la brume, ni la lumière, ni la fenêtre. Nous étions dans une salle de répétitions au théâtre des Bouffes du Nord, dénuée de décor. Il y avait une fenêtre. J’étais devant et lui, dans mon dos. Cela a déterminé la première image et le spectacle est né.

Est-ce que le temps est figé ?

Cet homme est dans plusieurs temps. Il est un présent totalement immobile parce qu’il est face à cette fenêtre. Et il est dans le passé qui est lui hyper présent. Tout ce qui s’est déroulé est mis en question. Cet homme est dans un fauteuil dans un appartement et se demande ce qu’il fait là. Il ne se souvient pas. Il est frappé d’une amnésie. Il retourne alors dans sa mémoire, cherche des souvenirs, des visions. En revanche, il y a une espèce de mobilité dans les changements d’atmosphère et de lumière. Ce texte est en fait une quête. Comme une enquête policière.

Comment jouer ce personnage avec tous ses ressentis ?

Cela est passé par la mémorisation du texte, très subtil, très fin avec ses réminiscences et ses pensées. Il y a quelque chose de proustien là-dedans. Après, mon esprit a été disponible pour intégrer ces finesses et les déployer dans un espace mobile. Ce personnage m’habite de la tête aux pieds, même jusqu’au bout des doigts. Il procure des sensations particulières que l’on ne rencontre pas ailleurs. C’est un rôle d’écrivain. Je me retrouve au cœur de l’écriture de Jean-Philippe Toussaint. Je me sens proche de lui parce que j’écris moi-même. En même temps, le spectateur participe à cette expérience.

Le réel est aussi très présent.

C’est un réel objectif. On entend l’autobus, ce qui se passe sur la plage à différentes heures de la journée. Tout cela est en effet très concret. Ce texte est un parcours sensoriel très intérieur où on s’accroche à des éléments concrets. Cela est relayé par l’espace, les mouvements, les changements d’atmosphère…

Ce qui permet l’imaginaire.

Jean-Philippe Toussaint a une écriture concrète. Il écrit sur le réel et s’en décale. Ce qui ouvre l’imaginaire. Cet effet de décollage du réel est un vrai plaisir. Cette sensation m’occupe physiquement et je la porte dans une grande rêverie.

Infos pratiques

  • Vendredi 20 mai à 20h30 au Rive Gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray
  • Durée : 1h10
  • Tarifs : de 26 à 8 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 91 94 94 ou sur www.lerivegauche76.fr
  • Dernière minute !  Denis Podalydès dédicacera à l’issue de la représentation, La Disparition du Paysage de Jean-Philippe Toussaint aux éditions de minuit et Les nuits d’amour sont transparentes, son dernier livre, chez Seuil. Cette vente sera organisée dans le hall du théâtre