Pierre Rigal : “tous les personnages de La Flûte enchantée sont dans une grande ambiguïté”

photo : Opéra de Rouen Normandie

La Flûte enchantée clôt la saison lyrique de l’Opéra de Rouen Normandie avec six représentations du chef-d’œuvre de Mozart à partir du vendredi 10 juin. Ben Glassberg, grand admirateur du compositeur autrichien, dirige l’orchestre et Pierre Rigal donne sa vision de l’œuvre dans une mise en scène qui emprunte aux codes du jeu vidéo. Entretien avec le danseur et chorégraphe.

Est-ce vertigineux de mettre en scène un opéra ?

Un peu quand même… Mettre en scène un opéra est très différent de mon travail habituel. Quand on envisage de créer un spectacle de danse, on part de rien. Il y a certes des idées, des intentions mais le travail commence réellement avec les danseurs. Un opéra, c’est l’exact opposé. On ne part pas d’une page blanche mais d’une page quasiment noire. Il y a la musique, donc un rythme, une histoire avec une dramaturgie et des solistes. Le travail de création reste néanmoins très grand mais il n’est pas au même endroit.

Où se situe ce travail ?

Il est dans l’analyse de l’œuvre. La plus longue étude a porté sur le livret. La musique, c’est un plaisir, des sensations. Dans un livret, il faut décortiquer chaque phrase. Celui de La Flûte enchantée est vertigineux, très complexe parce qu’il comporte beaucoup de détails, de situations même d’incohérences. Je me suis notamment beaucoup interrogé sur la misogynie dans cette pièce. Sarastro est tout d’abord considéré comme un tyran avant d’être porté en triomphe. Cela me gênait beaucoup. J’ai alors lu l’analyse de Jules Speller, chercheur luxembourgeois (La Flûte enchantée ou le conflit des interprétations, ndlr). Ses remarques m’ont rassuré. Papageno, souvent vu comme un idiot, est un homme qui fait l’idiot, le bouffon et devient très critique. Il se moque en fait de la figure de Sarastro. Il n’y a donc pas de trace de misogynie. Ce livret m’a donné une autre manière de voir la pièce et les personnages.

Dans cette pièce, il y a un prince, une princesse emprisonnée, une flûte enchantée, des clochettes magiques… Est-ce, pour vous, un conte de fée ?

Il faut voir La Flûte enchantée comme une pièce magique, irréelle, sensorielle, merveilleuse. Il faut donc vivre cela et non le subir. En même temps, les textes sont là. Des choses sont dites. Et il est nécessaire de les analyser. J’ai souhaité proposer un spectacle ouvert à tous les publics, à celui qui ne vient jamais à l’opéra et ne connaît pas la pièce de Mozart, à celui qui est un connaisseur. J’ai alors créé deux personnages, Mozart et Schikaneder, le librettiste, qui sont sur scène et viennent commenter ce qu’ils écrivent.

Quelle est la complexité des personnages ?

Tous les personnages de La Flûte enchantée sont tous très complexes et dans une grande ambiguïté. Tamino est un homme assez lâche. Il veut sauver Pamina mais c’est Papageno qui la découvre. Celui-ci est un peu rebelle. Il y a beaucoup d’ironie et de sarcasme chez lui. Pamina, la princesse, n’a pas d’autres choix que de tomber amoureuse d’un prince. Elle est très courageuse parce qu’elle subit beaucoup d’épreuves et sait affronter la réalité. J’ai voulu défendre la Reine de la nuit. Elle veut en effet se venger mais elle a de bonnes raisons de le faire. On lui a enlevé sa fille. Elle aurait dû recevoir le pouvoir de son mari qui préfère le confier à sa mort à Sarastro.

Comment avez-vous travaillé sur les références maçonniques dans La Flûte enchantée ?

Je ne comprends pas tout sur la Franc-maçonnerie. Par définition, elle revêt beaucoup de mystères. Au fil de sa vie, Mozart est allé de moins en moins dans sa loge. Quant à Schikaneder, il en est parti. Cependant, ces références se sont imposées à la lecture. Cette flûte est mystérieuse. J’ai ajouté des symboles, comme de grands yeux, des figures géométriques. Il y a également dans les gestes chorégraphiques des rituels.

Quelle est la place de la danse ?

Elle n’est pas extrêmement importante. Les danseurs sont les compagnons de création de Mozart et Schikaneder. Ils aident à construire le décor, jouent le rôle de catalyseurs et de révélateurs d’émotions. Tous habillés en noir, ils sont comme des ombres et représentent les tourments des personnages.

Le dernier opéra

La Flûte enchantée, créé en le 30 septembre 1791 à Vienne, est le dernier opéra de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Cette pièce joyeuse, en deux actes, prend la forme d’un singspiel, avec des dialogues parlés, et commence par l’évanouissement de Tamino. Le prince est menacé par un serpent géant qui sera tué par les Trois Dames de la Reine de la nuit, une femme désespérée depuis l’enlèvement de sa fille par le prêtre Sarastro. La Reine de la nuit demande à Tamino d’aller délivrer Pamina et lui promet un mariage avec elle. Le prince part avec Papageno. Le premier a reçu une flûte enchantée, le second, des clochettes magiques. Après de multiples épreuves et péripéties, les amoureux sont réunis et le Soleil vainc la Nuit.

Infos pratiques

  • Vendredi 10 juin à 20 heures, dimanche 12 juin à 16 heures, mardi 14 et jeudi 16 juin à 20 heures, samedi 18 juin à 18 heures et lundi 20 juin à 20 heures au Théâtre des Arts à Rouen
  • Tarifs : de 68 à 10 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 35 98 74 78 ou sur www.operaderouen.fr