Laurent Hatat : « il y a toute une machinerie de la pensée »

Photo : Alain Hatat

C’est la dernière partie de la trilogie de Beaumarchais, L’Autre Tartuffe ou La Mère coupable. La Mère coupable est Rosine, l’épouse du comte Almaviva et la maman de Léon, l’enfant né d’anciennes amours avec Chérubin. Or le garçon est épris de Flore, recueillie par Almaviva qui est en fait son père. Il y a beaucoup de secrets dans cette famille. Bégearss, homme a priori de confiance du comte, sait être un véritable manipulateur. Son souhait : se marier avec Flore et récupérer l’héritage. Figaro et Suzanne suivent les différentes manœuvres dans un climat révolutionnaire. La compagnie Anima Motrix reprend La Mère coupable, une histoire qui questionne la place des femmes, l’héritage familial et social. C’est jeudi 17 novembre à la scène nationale de Dieppe. Entretien avec le metteur en scène, Laurent Hatat.

Vous avez déjà travaillé sur Le Barbier de Séville. Pourquoi êtes-vous revenu à Beaumarchais ?

J’ai fait un premier voyage avec Beaumarchais. C’était un vrai voyage. Quand on ne connaît pas l’œuvre, on peut y aller avec des préjugés, des images poussiéreuses et d’entourloupe. Si on fait une lecture plus contemporaine, on découvre des questions politiques, progressistes. C’est ce qui m’intéressait. Quand j’ai travaillé sur Le Barbier de Séville, j’ai aussi lu La Mère coupable. J’ai souhaité y revenir avec les mêmes arguments, en instrumentalisant la pièce et en posant la question du patriarcat et du dégoût qu’il produit.

Que voulez-vous dire par instrumentaliser ?

C’est une façon indélicate de dire : je prends par principe de m’adresser au public d’aujourd’hui et je ne laisse rien de ce mode de pensée d’il y a deux cents ans. Ce n’est pas démonter ou trahir mais passer au filtre du présent. Beaumarchais se prête bien à cet exercice.

Est-ce pour cette raison que vous avez demandé une adaptation de la pièce à Thomas Piasecki ?

Oui, Thomas a commencé par réécrire un prologue pour situer l’histoire. Il a aussi amplifié les rôles féminins, redistribuer des choses à Suzanne, redonner la parole à la comtesse et à Flore. Flore, justement, n’a pas son mot à dire. Elle est juste bonne à marier. Nous nous sommes aussi servis de textes de Voltaire, de Rousseau, d’Olympe de Gouges. Il faut que les choses soient visibles parce que nous faisons un théâtre pour le public d’aujourd’hui.

Pourquoi voulez-vous aussi « dépoussiérer » cette œuvre ?

C’est un terme que j’aime bien. La pièce de Beaumarchais n’est pas aussi poussiéreuse que cela. C’est une question d’angle.

Dans La Mère coupable, plusieurs thèmes sont abordés.

Il y a une histoire d’argent, de filiation, d’orgueil masculin, de manipulation… C’est très sensible. Ce Tartuffe-là est le fruit de la Révolution française. Ce personnage de Beaumarchais se veut plus vertueux que tout le monde. Or la vertu est une qualité oubliée. On parle plus volontiers d’honnêteté. Ce qui le rend insupportable, c’est qu’il détient les secrets des uns et des autres et s’en sert pour son propre intérêt. Il y a toute une machinerie de la pensée.

Vous avez construit des personnages avec des caractères très affirmés.

C’est la distribution qui veut cela. Il y a aussi une incarnation, un rythme de parole, des corps. La prosodie est très fine et efficace. En effet, les personnages ont des caractères très marqués et se heurtent. Le rôle de Suzanne est touchant. Cette femme est confrontée à un choix, entre Bégearss et Figaro. Nous avons accentué son indécision. J’adore ça parce que nous allons chercher ce qui fait exister le personnage.

Quelle place donnez-vous à Flore et Léon ?

Nous avons rendu de la chair à Flore en donnant à ce personnage une lecture plus politique. C’est l’intello de la pièce. Léon se projette dans un monde avec un rapport à l’amour moins malsain que celui de ses parents. La question du mariage se pose différemment pour eux. Ce n’est plus un acte de survie.

Est-ce que la scénographie, semblable à un grenier mal rangé, reflète les tourments intérieurs des personnages ?

C’est un théâtre désaffecté. Nous sommes à une époque où il n’est pas si simple de se loger. Alors, on investit la scène. On peut imaginer que les appartements sont les loges. Ils sont dans le bazar du théâtre. Un théâtre qui ne fonctionne plus.

Faites-vous de La Mère coupable un drame ou une comédie ?

C’est le grand enjeu de la pièce. Ce serait dommage d’en faire seulement un drame. Il faut présenter ce qu’est la pièce : une comédie dramatique. On passe d’un sentiment à un autre, d’une scène très drôle et une autre plus tragique. L’enjeu émotionnel est mis en avant.

Infos pratiques

  • Jeudi 17 novembre à 20 heures à la scène nationale de Dieppe
  • Durée : 1h55
  • Spectacle à partir de 14 ans
  • Tarifs : de 25 à 12 €
  • Réservation au 02 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr