Gisèle Vienne : « les conflits intimes sont des conflits politiques »

Photo : Estelle Hanania

Gisèle Vienne adapte pour la scène le texte de Robert Walser, L’Étang, Une histoire d’amour filial  qui permet à la metteuse en scène et chorégraphe de poursuivre son travail sur la représentation sociale. Ce spectacle est présenté jeudi 1er et vendredi 2 décembre au Rive Gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Annie Ernaux

À la lecture de L’Étang de Robert Walser (1878-1956), Gisèle Vienne a fait un parallèle avec les écrits d’Annie Ernaux. « Il y a quelque chose d’autobiographique. C’est un texte écrit pour la sœur de Walser. Cette histoire est également sociologique dans le sens où elle fait le scénario sociétal de vies. C’est très présent dans la littérature d’Annie Ernaux. Elle résonne dans de nombreuses vies et fait donc sociologie. Même si Robert Walser l’écrit vers 1900, elle est très opérante et fait écho à la société à travers les rapports de domination inscrits dans notre chair, dans la structure familiale. Les conflits intimes sont des conflits politiques à l’intérieur de nous que nous pouvons plus ou moins décoder. Il y a un côté subversif avec beaucoup d’humour ».

Un drame familial

L’Étang est un drame familial. Un adolescent, Fritz, est désespéré. Pour lui, sa mère ne l’aime pas comme il le souhaite. Pour tester son amour, il va mettre en scène un suicide. Gisèle Vienne confie les rôles de L’Étang à Henrietta Wallberg et Adèle Haenel. La première « doit jouer la femme et la mère. Adèle est un enfant. Ces deux assignations mènent au conflit. Les deux personnages sont en effet en guerre avec ces injonctions sociétales. Cela pose la question de la manière d’aimer et de la souffrance. Ce peut être très violent pour une mère. Dans cette histoire, le père est absent. Or cette absence révèle son omniprésence. La mère doit alors agir sous cette autorité dans ce système qui leur fait violence. Elle doit représenter l’autorité qui joue en fait en sa défaveur. Nous avons alors deux personnages en suspens, en conflit, qui sont liés dans la détresse ».

Des silences

Dans ce récit, Gisèle Vienne y a perçu de nombreux silences. Les incompréhensions et les non-dits vont traverser les corps. « Cela ouvre des champs dans la mise en scène, dans la chorégraphie. Je continue à développer ma capacité à lire et entendre les corps, à ce que disent les corps, les immobilités. Cela pose la question de la perception. La parole fait autorité sur un corps. Ce qui est une aberration parce que cela sert un système en place. Or ces espaces non verbaux sont hyper politiques. Cela permet de prendre conscience des évidences perceptives et remettre en question ces évidences ».

Un autre langage

Face à un tel texte, Gisèle Vienne se devait d’inventer un nouveau langage comme si elle découvrait une nouvelle langue étrangère ou écrivait la règle d’un jeu. « Le geste artistique est une tentative de déplacement ». La metteuse en scène a imaginé « une expérience sensorielle faite de texte, de sons, de lumière, de couleurs, de musicalité ». Pour cela, elle a voulu « jouer sur les dissociations. Adèle interprète plusieurs personnages à partir d’un même corps. Elle est Fritz et d’autres adolescents en changeant sa voix. Comme si elle doublait dans un film. Le rapport dans l’espace est aussi un langage. Cela permet de déplier un conflit. Son corps est une mise en scène en soi ».

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