Dominique A : « la musique se fait l’écho des conditions dans lesquelles elle se crée »

Photo : Jérôme Bonnet

Dans les albums de Dominique A, il y a toujours autant d’élégance et de poésie. Les dix titres de ce nouvel album, Le Monde réel, offrent des ambiances aériennes créées par de belles mélodies et des arrangements délicats. À travers des images, il porte un regard mélancolique sur ce « monde réel » qui l’inquiète. Aux évocations plus intimes, Dominique A partage des préoccupations face à une nature en souffrance. C’est certainement le collectif qui permettra des jours meilleurs. « Nous n’irons loin qu’avec les autres », chante-t-il. Collectif aussi, comme l’est ce disque enregistré avec un groupe de musiciens dans le studio de La Frette dans la région parisienne. Entretien avec Dominique A qui sera en concert vendredi 5 mai aux 3 Colombiers à Port-Jérôme-sur-Seine.

Vous composez des albums et écrivez des livres. Existe-il des liens entre les deux écritures ?

Non, quand je fais un disque, je pense au son et à la musique avant de savoir ce qu’il va raconter. Je découvre cela morceau après morceau. Pour un album, je n’ai pas de plan ou de volonté particulière de raconter quelque chose en particulier. Dans cet album, il y a le reflet d’une inquiétude passée par un filtre poétique. Ce peut être comme une forme d’un livre augmenté. Cependant, ce qui m’importe, c’est le son parce qu’il véhicule autant que les mots. Je leur accorde en effet beaucoup d’importance. Je suis avant tout un chanteur. Il faut que les mots sonnent et que mon corps soit en adéquation avec ces mots que je vais chanter. C’est mon objectif.

Dans cet album, vous avez pris une certaine liberté avec le format de la chanson.

Oui et je l’ai fait très volontairement. Même s’ils sont métaphoriques, les titres deviennent au fur et à mesure plus narratifs. Je ne l’évite pas toujours. J’ai alors recherché une forme de fluidité et je me suis focalisé sur des morceaux à l’écriture plus libre. J’avais très envie que cela dise des choses. C’est aussi une forme de déclaration d’intention à l’art, aux enjeux commerciaux…

Vous avez parlé du son et de la musique. Dans cet album, vous leur laissez beaucoup d’espace.

Tout à fait, je voulais privilégier cela, avoir un plan large. On pourrait faire là une comparaison cinématographique. Je souhaitais que la musique se déploie à son rythme sans écraser le son. Comme si le son pouvait se balader dans un espace sonore. Être le plus ouvert possible permet d’avoir une dynamique de la musique et un spectre de fréquence plus large que dans la musique pop. C’est une autre déclaration d’intention, peut-être un retour en arrière pour être plus proche de ce qui se faisait dans les années 1960 et 1970. Après, on a commencé à gonfler le son et à l’écrabouiller. Ce qui peut être une forme d’agressivité qui est en relation avec une agressivité sociale. La musique se fait l’écho des conditions dans lesquelles elle se crée. Les rapports se durcissent et nous sommes moins dans l’idée d’harmonie. C’est l’émanation d’une époque.

Cela renvoie au rapport au temps ?

Oui. Il ne peut y avoir l’idée d’espace sans l’idée de temps. Nous avons eu le temps de travailler sur cet album. Nous avons été ensemble pendant vingt-cinq jours. J’ai fait le pari de réunir des musiciens issus d’horizons divers et de voir ce qui allait se produire. La sauce a pris tout de suite. Ce que nous proposons sur scène est une extrapolation de ce qui a été fait en studio. Nous développons le son du groupe pour trouver un son collectif. Je sortais d’un disque et d’une tournée en solo et je ne voulais plus concevoir la scène en solitaire. Seul, j’étais dans un certain rapport à la guitare. Or je ne me sens pas instrumentiste, davantage un interprète.

Et c’est un réel plaisir d’être un interprète.

Oui, carrément, cela me laisse le champ libre. Même si j’appréhende parce que je dois occuper l’espace avec mon corps. Sur scène, la guitare peut faire paravent. Néanmoins, cette grande liberté me permet de me concentrer sur le chant.

Cet album est à nouveau traversé par une inquiétude.

Oui, tout mon répertoire est placé sous le signe de l’inquiétude. Cela me permet de traduire et de me débarrasser de ces peurs. Quand cela croise les inquiétudes des autres, c’est l’idéal.

Pour chaque album, l’intime est-il en jeu ?

Oui, je crois. Il est cependant un peu mâtiné de collectif. Dans les deux premiers tiers de l’album, il y a des choses plus générales et davantage l’emploi du nous. À la fin, je me remets en scène à travers un personnage. L’intime reprend le dessus.

Est-ce que chaque album marque un temps ?

Oui, complètement. Chaque disque est chargé de l’époque. Et ce, à mon corps défendant. J’ai une mémoire friable. Les disques sont attachés à une période de création et à des personnes qui vont et viennent. Ils sont très identifiables par leurs couleurs, leur palette. Jusqu’alors, j’ai épuisé toutes les couleurs primaires. Je commence à faire des mélanges.

Est-ce que votre voix marque ces mêmes temps ?

C’est plus un truc en continu. Ce qui m’intéresse, c’est que la voix se fasse l’écho de tout par quoi je suis passé et que je puisse me rendre compte de son évolution. Une voix dit beaucoup de soi. C’est tout un parcours de vie. Sur La Fossette, elle était presque anti-naturelle. Là, elle est plus juste dans les intentions. Elle se module au fil des tournées, du temps passé sur les routes en bonne compagnie.

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