Il est toujours difficile de savoir où emmènent les disques de Flavien Berger. La surprise en est que plus grande et l’évasion, totale. Dans Cent Ans, le nouvel album sorti au printemps 2023, est un enchaînement de rêves, de mystères, d’images, de fantaisies et de métaphores. L’artiste y explore encore avec délicatesse les sons d’une électro-pop aérienne. Ce disque magnifique vient en effet clore une trilogie commencée avec Léviathan (2015) et Contretemps (2018) pour confronter des temps, traverser un présent, un passé et entrevoir un futur. Tout un chemin à parcourir avec délice. Entretien avec Flavien Berger qui sera en concert vendredi 23 juin au jardin de l’Hôtel-de-ville à Rouen pendant Rush, le festival du 106.
Léviathan, Contretemps, Dans Cent Ans… Ce sont les trois albums et vous reprenez ces trois titres dans la chanson Dans Cent Ans. Pourquoi était-ce aussi important pour vous de les rappeler ?
Important est aussi un mot en trois syllabes qui se termine par le son an… Dans cette trilogie, c’est comme si j’avais mis en place un jeu de pistes qui se termine avec Dans Cent Ans. Comme si je révélais à chaque fois des indices d’une énigme. Les disques sont des balises et comportent des éléments qui leur sont communs. J’ai travaillé sur des sujets que j’avais envie d’investir. J’ai pensé cette trilogie comme en littérature ou au cinéma. C’est une exploration de différentes périodes. Dans ce troisième album, il y a des choses plus mystérieuses, liées à l’occulte, l’inconnu de la mort.
Cette question du temps est récurrente. Vous hante-t-elle ?
Oui et c’est assez inconscient. Il y a toujours une référence au champ lexical du temps qui passe, se déroule, s’accélère, se ralentit… Des choses arrivent maintenant, d’autres, plus tard. Ce n’est pas une obsession mais une envie de manipuler ce vocabulaire temporel. La matière temps, c’est ce qui tisse la musique. La trame prend place dans la matière temporelle. Quand je travaille, je crois que j’essaie de me rappeler que l’album parle du temps. Mais je n’ai pas de recul là-dessus. En fait, quand on a une pratique artistique, on écrit sur ce que l’on ne maitrise pas complètement. C’est comme une photo qui se révèle avec le temps.
Est-ce qu’un album vient alors répondre à des questionnements que le précédent a soulevés ?
Oui, je crois. Je crois que chaque disque m’a appris quelque chose. Au-delà de la production musicale, c’est davantage dans l’écriture. Les disques me servent d’expérimentation. Avec le temps, je comprends la manière dont j’écris. Pour le premier album, j’ai écrit sans savoir exactement ce que je voulais dire. Il parle de moi mais c’est plus un précipité. C’est quand un disque est terminé, que les choses se cristallisent, que j’observe cela, que j’assiste à cela.
Sur la pochette de Dans Cent Ans apparaît un petit diable qui est là et pas vraiment là dans cet album. Pourquoi avez-vous souhaité le figurer ?
J’étais persuadé que le troisième album parlerait du diable, de satan. C’est un sujet qui m’attire beaucoup. J’aime cette idée de contrat avec le diable dans la musique, notamment dans le blues qui m’est cher. Et je n’ai pas réussi du tout à l’évoquer. Il y a des questions politiques, d’appropriation que je n’arrivais pas résoudre. Pourtant, il était là de manière légère. Il se cache derrière les mots. Ce que j’ai réalisé pendant le travail, c’est que le diable est en chacun de nous. Nous avons tous une part de diable. Cela crée une atmosphère autour des humains.
Il a l’air malicieux, votre diable.
Mon diable, c’est un diable qui joue avec les regrets, l’espoir, les illusions, les désillusions…
Dans cet album, vous jouez avec le nombre 666, celui du diable, qui a un lien avec des titres d’albums précédents ?
C’est un titre sur un temps long, un jeu de pistes pour moi. Je me suis fixé un rendez-vous avec ces morceaux avec des chiffres. J’installe des morceaux qui se suivent en mode décroissance. Si on les met bout à bout, ils s’enchainent. Je me lance ainsi des balises dans le futur. Si un jour, je ne sais pas quoi faire, je pourrais peut-être sortir un album avec ces morceaux.
Où avez-vous découvert le Poème du papillon de Tchouang Tseu ?
J’ai été dans un bivouac pour mener des aventures autour du feu dans une grande land. Nous avions des talkies-walkies. Le soir, le prieur lisait. Un jour, il a lu ce poème et je l’ai enregistré. Ce texte constituait une matière. C’est un texte très connu dans la culture chinoise. Je ne le connaissais pas. L’entendre à travers un talkie-walkie m’a basculé dans le rêve. Tchouang Tseu qui rêve d’être un papillon ne sait plus s’il est vraiment un papillon ou pas. J’ai fait un parallèle avec la musique. Quand elle écrite, puis jouée, elle n’appartient plus à moi mais à la personne qui l’écoute. C’est comme si ce n’était pas moi qui l’avais composée. J’ai laissé reposer pendant des années ce poème pour voir ce que j’y trouverai. Avec la musique, je bascule d’un être à un autre. Mes réflexions, mes positions changent. Il y a de cela dans ce poème. Et j’ai choisi une introduction en mandarin pour changer une habitude linguistique.
Dans votre chant, il y a une plus grande interprétation.
Oui, je pense. Au fil des disques, j’arrive à comprendre ce que je chante. Plus je suis capable de chanter, plus je peux l’interpréter. J’ai laissé cela prendre une place dans mon travail. J’ai en effet trouvé la zone où je peux chanter en m’amusant et laisser passer une émotion. Il y a cependant une part de non-maîtrise qui laisse aussi passer quelque chose de plus.
Vous êtes à nouveau seul pendant les concerts. Pourquoi ?
Je ne sais pas trop pourquoi je veux être seul. C’est un inconvénient parce que l’on se prend tout. C’est plus fatigant et on reçoit beaucoup d’énergie. En même temps, c’est un avantage pour moi qui fais de la musique seul. C’est comme si le chemin que prennent les intentions sont celles que je n’ai pas prévues mais espérées.
Vous apparaissez pour la première fois dans le clip de Feux follets ?
J’avais rêvé ces images que j’ai proposées à Vimala Pons. Dans ce clip, cela n’avait pas de sens si je ne chantais pas. J’ai cassé les règles pour le bien du projet. Je me suis extrêmement amusé. Mes refus d’apparaître avaient des raisons réfléchies. Commercialement, il y a un besoin d’afficher un visage et un corps à une pratique musicale. Il faut que la musique et la figure aillent ensemble. Je n’étais pas encore passé par ce truc-là. Ce n’est pas par snobisme que je refusais ce contrat absurde mais je fais de la musique pour la musique et non pour une attitude.
Infos pratiques
- Vendredi 23 juin à 19 heures au jardin de l’Hôtel-de-ville à Rouen
- Concert avec Moorea
- Réservation en ligne
- Aller au concert en transport en commun avec le réseau Astuce
Programmation de Rush
- Jeudi 22 juin à 19 heures : Kitty, Daisy et Lewis, Andrey Tesson au Kaléidoscope à Petit-Quevilly
- Samedi 24 juin à 19 heures : Lulu van Trapp, Bad Bad Bird à la base nautique à Belbeuf
- Dimanche 25 juin à 15 heures : PW Warson, Walter Astral, Meaning of tales à l’Union B à Malaunay
- Jeudi 29 juin à 19 heures : Makala, Héloïm à l’aître Saint-Maclou à Rouen
- Vendredi 30 juin à 19 heures : Forever Pavot, La Jungle à l’Académie du Shed à Maromme
- Samedi 1er juillet à 19 heures : Kevin Morby, Manhattan sur Mer au théâtre de verdure à Petit-Couronne
- Dimanche 2 juillet à 15 heures : Lass, Lonny, R’May, Trioman Orchestri au parc du Champ des Bruyères à Saint-Étienne-du-Rouvray