À des milliers d’années se jouent une scène semblable en Grèce. D’un côté, des puissants, de l’autre, une population dominée. Ils se font face pour parler de la répartition des richesses, donc de leur avenir. Dans la mythologie, Zeus condamne les êtres humains après la ruse de Prométhée qui refuse désormais leur sacrifice permanent. Le banquet est amer lors de la négociation de la dette publique grecque en pleine crise économique et sociale. Dans L’Oiseau de Prométhée, la nouvelle création des Anges au plafond jouée du 14 au 18 novembre à l’espace Marc-Sangnier à Mont-saint-Aignan, Camille Trouvé et Brice Berthoud, directrice et directeur du CDN de Normandie-Rouen, metteuse et metteur en scène, font un parallèle entre ces deux épisodes, le premier, fictif, avec les marionnettes, et le second, bien réel. C’est une tragédie qui se joue en trois actes avec les duperies, la mise en place de mesures économiques drastiques, les révoltes et la peur. Entretien avec Camille Trouvé et Brice Berthoud.
Il y a eu Une Antigone de papier, Au Fil d’Œdipe, vous créez L’Oiseau de Prométhée. Pourquoi revenez-vous à la mythologie grecque ?
Camille Trouvé : nous avons planté notre univers artistique dans la mythologique grecque. Celle-ci raconte nos désirs secrets, nos pulsions… En fait tout ce qui nous constitue en tant qu’être humain. C’est surtout l’imaginaire collectif qui nous habite. Et nous avons envie de lui redonner vie et puissance. Pour ce spectacle, le mythe vient éclairer notre époque contemporaine.
Pourquoi avez-vous choisi le mythe de Prométhée ?
Camille Trouvé : c’est le mythe du partage de la richesse. Prométhée est le premier humaniste. Il cherche à changer l’ordre du monde établi par Zeus. Lors d’un banquet, après le sacrifice des bœufs, les meilleurs morceaux sont réservés aux dieux, le reste va à l’humanité. Prométhée modifie le partage de la viande grâce à une ruse. Il s’interroge : va-t-on laisser les autres s’empiffrer ? C’est toute la question du partage qui est posée. Zeus qui a vu le subterfuge choisit de se laisser duper. Pour réaffirmer son pouvoir, il décide de chasser l’humanité de la plaine de l’abondance. Prométhée parvient également à voler le secret du feu pour le transmettre aux hommes. Le feu qui reste le symbole de la connaissance, de la responsabilité politique. Prométhée donne ainsi aux hommes quelque chose de précieux et leur demande s’ils seront à la hauteur de cette responsabilité. Or, les hommes vont tout gâcher.
Dans L’Oiseau de Prométhée, vous mettez en parallèle le mythe de Prométhée et la crise de la dette publique grecque de 2008. Où peut être le lien ?
Camille Trouvé : quand nous avons travaillé sur Antigone et Œdipe, nous avons voyagé en Grèce et noué des amitiés fortes. Nous avons aussi assisté de manière impuissante à ce qui se tramait lors de la crise de la dette. Nous n’avons pas tout compris tellement les conséquences ont été brutales. La situation de la population grecque s’est vite dégradée. Il y a eu des moments tendus et émeutes violentes.
Brice Berthoud : ce fut très dur d’entendre : vous ne pouvez pas comprendre le quotidien tel qu’il est. Il n’y a pas pire que d’entendre cela de la part d’un ami. Pourtant nous y allions une fois par mois. Nous ne pouvions pas comprendre la situation politique parce que nous ne la vivions pas. Le salaire minimum était tombé à 586 €. Cela se répercute évidemment sur le quotidien. À un moment, nos amis nous ont dit : nous ne voulons plus parler politique avec vous. Il y avait à ce moment-là un septième plan dans lequel le taux de remboursement de la dette était supérieur au PIB. Il était donc impossible à la Grèce de rembourser. Cela nous a rappelé le mythe de Prométhée qui se fait manger le foie. Dès que nous avons parlé de Prométhée, nous avons pu à nouveau échanger.
Vos spectacles comportent toujours une dimension politique.
Camille Trouvé : la politique s’invite dans nos vies, déchire les amitiés, défonce l’amour… Peut-on vivre sa vie sans qu’elle soit impactée par la grande Histoire ? Nous sommes tous pris dans les soubresauts du monde. Cela nous permet de parler de l’intime. Nous sommes des animaux de sensibilité politique. Nous créons un théâtre non politique mais de sensibilité politique.
Brice Berthoud : la définition du mot politique est difficile. Pour nous, c’est la vie de la cité et le théâtre doit s’occuper de la vie de la cité.
Il était alors évidemment pour vous de confier l’écriture du texte à Christos Chryssópoulos.
Brice Berthoud : c’était essentiel. Nous n’avions pas la légitimé de parler de cette histoire. Il nous fallait une personne qui soit dans cette histoire. Christos est écrivain et photographe. Il écrit le jour et prend des photos la nuit. Ce qui lui permet d’appréhender autrement la réalité. Il écrit des scènes sans savoir dans quel ordre elles seront dans l’histoire. Comme nous.
Camille Trouvé : Christos est venu à toutes les étapes de travail. Nous avons partagé nos univers. Nous avons refait les débats, les conflits… Lui est dans une parole du réel. Il a une écriture du réel et la nôtre est davantage poétique.
Quelles marionnettes avez-vous conçu pour ce spectacle ?
Camille Trouvé : il y a une famille mythologique avec les dieux qui sont les plus grandes — Zeus mesure 2,30 mètres — la famille politique avec Angela Merkel, Aléxis Tsipras et Christine Lagarde. L’oiseau tient le rôle de narrateur. Ces marionnettes ont demandé plusieurs mois de travail avec Amélie Madeline, Séverine Thiébault qui a aussi réalisé les costumes, Jonas Coutancier, Magali Rousseau. Les trois Parques sont là pour faire à manger. L’histoire se déroule dans un quartier d’Athènes. Le public est de part et d’autre de la place. Il pourra être à la terrasse de la taverne et manger des plats grecs ou être dans une agora.
Infos pratiques
- Mardi 14, mercredi 15, jeudi 16 novembre à 20 heures, samedi 18 novembre à 18 heures à l’espace Marc-Sangnier à Mont-Saint-Aignan
- Durée : 1h45
- Spectacle accessible en audiodescription et adapté en langue des signes le samedi 18 novembre
- Tarifs : 20 €, 15 €
- Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
- Aller au spectacle en transport en commun avec le réseau Astuce
- Des places sont à gagner