Guitariste virtuose, Thibaut Garcia a consacré un album, sorti en septembre 2023, à Agustín Barrios (1885-1944). Le musicien toulousain dresse un portrait musical de ce compositeur paraguyen qui s’est fait appeler au début des années 1930 Nitsuga Mangoré et qui a écrit une musique colorée et mélancolique. Il est venu enregistrer El Bohemio à la chapelle Corneille à Rouen et y revient pour un concert mardi 21 novembre avec l’Opéra de Rouen Normandie. Entretien avec Thibaut Garcia.
Agustin Barrios est un compositeur très peu connu. Était-il temps pour vous de faire découvrir sa musique ?
Oui, bien sûr. Il est vrai qu’Agustín Barrios n’est pas très connu du grand public. En revanche, pour les guitaristes, ce compositeur est incontournable.
Quel compositeur souhaitiez-vous présenter à travers cet album ?
Agustín Barrios est un artiste avec plusieurs facettes. Cela fait deux ans que je travaille sur ce projet. J’ai tout d’abord redécouvert tout le répertoire. J’ai également pris du temps pour lire différentes biographies, des manuscrits, des lettres. Barrios est non seulement un compositeur et guitariste mais aussi un arrangeur, un poète, un dessinateur… J’ai voulu une présentation la plus complète de cet artiste. D’où cette monographie avec les compositions, les arrangements d’œuvres de Chopin, Schumann et Beethoven, et des poèmes.
Que retenez-vous de Barrios ?
Barrios est un personnage ésotérique. Les symboles sont devenus importants dans sa vie. À un moment, il a renoué avec ses racines guarani. À l’âge de 45 ans, il a décidé de changer d’identité pour des raisons artistiques et intime. Il n’y a pas de changement radical dans sa musique mais on ressent cependant un rapport plus proche à la nature, la jungle, le Paraguay, la lune… Dans sa Profesión de fé, sa profession de foi, qui est un poème, il explique comment il est devenu un dieu.
Comment qualifiez-vous la musique de Barrios ?
Il a réussi à trouver une identité. Il est souvent comparé à Chopin et Schumann. Avec lui, on est entre la musique romantique et populaire. Il y a quelque chose de rafraichissant. Les compositions sont à la fois familières et surprenantes. Quand on écoute, on a l’impression de les connaître déjà. Il y a beaucoup de très belles pièces. C’est très virtuose parce qu’il parvient à faire chanter la guitare.
Pourquoi avez-vous choisi de vous consacrer à Barrios maintenant ?
J’ai toujours adoré Barrios et j’ai toujours joué ses musiques. Jusqu’alors, je ne m’étais jamais consacré à un compositeur. Cela demande d’être en immersion totale dans un monde, d’avoir un certain état d’esprit. Il y a deux ans, j’ai vu un biopic sur Barrios et j’ai eu envie de m’intéresser davantage à sa vie. Quand j’ai relu son répertoire et des biographies, je me suis aperçu qu’il y avait tellement de choses à creuser. Par ailleurs, je me sentais prêt à passer du temps avec lui et sa musique.
Comment avez-vous vécu ces moments-là ?
Ce furent des moments heureux. Barrios n’est pas un homme joyeux, plutôt très mélancolique. La plupart de ses musiques sont tristes. Mais j’ai été heureux d’éprouver cette mélancolie et cette tristesse. C’est pour cette raison que l’on parle de Barrios comme le Chopin de la guitare. Cette musique, très belle, me touche beaucoup.
Aux compositions de Barrios, vous ajoutez trois transcriptions, un prélude de Chopin, La Sonate au clair de lune de Beethoven et Kinderszenen de Schumann.
Je n’aurais jamais pensé jouer ces œuvres à la guitare. C’est tout le côté surprenant du répertoire de Barrios. Son travail est magnifique mais il m’a demandé beaucoup de temps pour m’acclimater à ces pièces. Notamment celle de Schumann parce qu’il faut accorder la guitare de façon plus grave. Cela donne une sonorité unique que l’on n’a pas l’habitude d’entendre.
Comment ce travail sur Barrios a nourri votre jeu ?
Le répertoire de Barrios m’a obligé à jouer différemment. J’ai passé vraiment beaucoup de temps sur ce répertoire. Chez Barrios, il y a un rapport à la façon de jouer qui n’est pas aseptisé. La musique est très écrite mais elle offre une liberté totale dans l’interprétation. Donc, il n’y a plus de limite.
Pour ce concert à Rouen, vous revenez à la chapelle Corneille.
C’est un endroit très beau que j’adore. C’est toujours émouvant de revenir dans le lieu où un album a été enregistré. Il y a des souvenirs. Quand vous enregistrez dans une salle pendant plusieurs jours, vous avez l’impression qu’elle vous appartient. À la fin, vous êtes triste de partir. Comme pour une fin de colo.
Infos pratiques
- Mardi 21 novembre à 20 heures à la chapelle Corneille à Rouen
- Durée : 1h15
- Tarifs : de 32 à 5 €
- Réservation au 02 35 98 74 78 ou sur www.operaderouen.fr
- Aller au concert en transport en commun avec le réseau Astuce