Anne-Sophie Bertrand : « Perret est un architecte qui mérite d’être expliqué »

photo - Philippe Bréard

Il y a tout juste cent cinquante ans, le 12 février 1874, naissait en Belgique Auguste Perret. Grand architecte et constructeur, il a porté un regard très personnel sur les espaces publics et privés. En utilisant le béton armé, il a sublimé ce matériau et pu renouveler les formes des constructions. Auguste Perret a imaginé le théâtre des Champs-Élysées en 1913, l’église du Raincy en 1923, le palais d’Iéna en 1937, Le Havre après la Seconde Guerre mondiale, son plus gros chantier. La ville a conçu un cycle de conférences sur le travail de Perret pour comprendre cette œuvre. C’est à suivre les lundis ou en replay. Entretien avec Anne-Sophie Bertrand, directrice de Pays d’art et d’histoire.

Que faut-il avant tout retenir d’Auguste Perret ?

Auguste Perret est le pionnier dans l’usage du béton armé. Jusqu’alors, le béton était utilisé par les ingénieurs pour les hangars, les ponts… Les architectes le négligeaient  et le cachaient. Auguste Perret prend conscience que le béton est le matériau de l’avenir. Il va l’employer pour les immeubles, les ateliers, les théâtres, en fait, dans une grande diversité architecturale, et il va exploiter toutes ses potentialités. Avec le béton qui laisse une créativité, il va inventer un langage architectural. 

Avec lui, est-ce que commence un nouveau chapitre dans l’histoire de l’architecture ?

Auguste Perret a reçu une formation classique. Il est dans une tradition. Il a lu Violet-le-Duc, un architecte qui a une grande culture classique. Il n’y a pas une cassure. Perret s’inscrit dans une grande histoire. Il a grandi auprès d’un père propriétaire d’une entreprise de construction. Il va sur le terrain, connaît les étapes d’un chantier. Très tôt, il est confronté au matériau. Il va aussi très jeune imaginer la construction du chalet de la famille et avoir des commandes. Il signe les plans du casino de Saint-Malo où est expérimenté le béton armé. Perret va prendre des risques. Au fil des chantiers, il va acquérir un savoir-faire. Quand arrive le chantier de la ville du Havre, il a une expertise.

Le centre ville du Havre vu du haut de l’église Saint-Joseph / photo : Philippe Bréard

Qui a choisi Auguste Perret pour la reconstruction du Havre ?

C’est l’État, par le ministère de la Reconstruction, qui le choisit. Auguste Perret n’est pas arrivé au Havre par hasard. Le chantier du Havre, avec ce grand port, a une valeur symbolique, une dimension politique. Il doit être le symbole du renouveau du pays et incarner la France moderne. Perret qui a une aura énorme, une stature forte, est le meilleur candidat pour assurer le chantier.

Comment va-t-il procéder ?

Ce chantier, c’est une aventure humaine. Il a une équipe autour de lui. Il va aller jusqu’à faire des concours internes, notamment pour la salle Descartes au dix-septième étage de l’hôtel de ville. Chacun y va de sa solution. Par ailleurs, Perret ne va pas faire fi de l’histoire du Havre. Il garde les bassins pour rappeler le passé maritime. Il conserve aussi la rue de Paris qui existe depuis la Renaissance mais il l’agrandit. Tout comme l’avenue Foch et le boulevard François Ier. Il élargit ce triangle pour lui donner une dimension monumentale. Le front de mer sud doit accompagner l’entrée des paquebots. La Porte Océane doit être une ouverture vers l’Europe. Les immeubles rythment la place de l’Hôtel-de-Ville où il replace les bâtiments principaux comme avant-guerre. Les habitants sont relogés dans les mêmes secteurs. Les commerces conservent leur place. Il souhaite que chacun retrouve ses repères tout en rebâtissant une ville aérée où la lumière pénètre largement. Cela participe du confort des habitants. Il n’oublie pas non plus l’hygiène. Les appartements sont traversés de lumière et équipés d’un chauffage collectif, de toilettes, de salle de bains, de fenêtres avec survitrage… Les espaces s’adaptent aux souhaits des familles et à leur taille. Il veille à la qualité de vie. Perret était un homme attentif aux usages et aux usagers.

photo : Direction de la communication de la ville du Havre

Les immeubles de Perret semblent identiques. Pourtant, ils fourmillent de multiples détails différents.

Il y a les mêmes gabarits avec des commerces au rez-de-chaussée, les logements à l’étage, des fenêtres verticales. Perret va les différencier avec des couleurs de béton, des ferronneries, des chapiteaux, des colonnes… C’est le langage de Perret : le classicisme avec des variances. Ce qui crée une harmonie.

Pourquoi Perret a-t-il été décrié ?

À l’époque, après la Seconde Guerre mondiale, il est admiré. Auguste Perret est un architecte qui mérite d’être expliqué. Il est nécessaire de donner des clés de lecture pour comprendre toutes les subtilités. Le Havre est une ville repensée qui constitue un ensemble patrimonial exceptionnel où se mélange la grande tradition urbaine et le moderne.

A-t-il transmis son savoir-faire ?

Auguste Perret a formé des élèves dans le monde entier. Il a eu cette volonté de transmettre et aussi cette capacité à s’entourer d’une équipe. Ce fut une force parce que, après lui, il a été possible de continuer son œuvre, notamment au Havre. Le chantier commence en 1944 et Perret meurt en 1954.

photo : Philippe Bréard

Le programme

  • Lundi 19 février à 17 heures :  L’usine de l’ex-société centrale des alliages légers d’Issoire, un monument de l’industrie par Myriam Bayol, cheffe de projet Pays d’art et d’histoire, Agglo Pays d’Issoire, et Christophe Laurent, historien de l’architecture
  • Lundi 26 février à 17 heures :  La chapelle de l’école de la Colombière à Chalon-sur-Saône, témoin de l’efficacité de l’architecture religieuse d’Auguste Perret par Christelle Morin-Dufoix, cheffe de projet Ville d’art et d’histoire, Chalon-sur-Saône
  • Lundi 4 mars à 17 heures :  La reconstruction du Havre, une icône de la pensée urbaine contemporaine par Joseph Abram, architecte et historien

Infos pratiques

  • Inscription au cycle de conférences en ligne