Oriane Lacaille : “le créole est ma langue musicale”

Photo : Fabien Tijou

Oriane Lacaille a commencé très tôt sa carrière de musicienne. Dès l’âge de 13 ans, la percussionniste accompagnait son père, René Lacaille, accordéoniste réunionnais. Plus tard, elle a fondé avec JereM le duo Bonbon Vodou. Il a fallu une rencontre avec Piers Faccini pour qu’elle trouve suffisamment d’assurance et sortir un EP, puis un premier album. iViV (Ça vit, en créole), c’est onze titres, sortis à l’automne 2023, empreints d’une double culture et d’une douce poésie, portés par une voix aérienne. Entretien avec Oriane Lacaille avant son concert vendredi 19 avril au Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen.

Est-ce que l’EP a été une étape nécessaire avant l’écriture de l’album ?

Je ne sais pas. Cela s’est fait comme ça. Piers Faccini m’a proposé d’enregistrer quatre chansons avec lui. Ce fut le point de départ de mon projet en solo. Il m’a ainsi lancé dans cette aventure. J’y serai allée un jour mais là je n’étais pas consciente d’être prête et d’avoir cette envie. En fait, je ne m’étais pas posé la question. Je fais partie d’un duo, Bonbon Vodou, qui tourne toujours et qui compte pour moi. Je ne me donnais pas forcément la possibilité de m’extraire.

Des chansons étaient-elles écrites ?

Non, pas encore. Après la discussion avec Piers Faccini, je me suis mise à écrire. J’ai aimé ce travail en solitaire. Jusqu’alors, j’ai toujours travaillé en groupe, notamment avec le duo. Avec JereM, nous écrivons les textes chacun de notre côté et nous les mettons en musique ensemble.

Qu’avez-vous apprécié dans ce travail en solitaire ?

Il y a quelque chose de beaucoup plus intime. À l’écoute des chansons, on se rend compte à quel point elles sont très personnelles. J’ai aussi cette chance : la création est assez fluide de manière générale chez moi. Il arrive parfois que l’on n’arrive pas à terminer une chanson et cela devient douloureux. Pour moi, l’écriture est un temps pour soi.

Vous avez écrit seule cet album, iViV, mais vous l’avez enregistré à plusieurs.

La musique, ça se partage. Je ne pouvais pas imaginer enregistrer cet album toute seule. Peut-être un jour, j’essaierai. Pour moi, le collectif est important et amène une richesse. Nous avons enregistré dans les conditions du live. J’aime beaucoup écouter les albums dans lesquels les musiciens ont joué ensemble. Ça vit ! J’écoute aussi tout un tas d’albums bien plus produits. Mais, pour ma musique, je trouvais que c’était une plus-value.

Sur cet album, vous êtes entourée de Piers Faccini, Leyla McCalla, René Lacaille, JereM… et Héloïse Divilly, une des membres des Vibrants Défricheurs.

C’est une Réunionnaise qui est venue s’installer en Normandie. Nous avions joué ensemble lorsqu’elle est arrivée en Métropole il y a une dizaine d’années. Elle a accompagné mon papa. C’est de cette manière que nous nous sommes rencontrées.

Pourquoi écrivez-vous en français et en créole ?

J’ai grandi en métropole mais j’ai appris la musique avec mon papa. Donc j’ai toujours chanté en créole. Jusqu’à mes 20 ans, je n’avais jamais chanté en français. Le créole est ma langue musicale. Elle est la plus naturelle lorsque je chante. Cela me plaît beaucoup. C’est une manière de me rapprocher de cette langue que je n’entends pas au quotidien. L’écrire est une manière de l’appréhender et de la découvrir. Je la fais mienne.

Pourquoi la découvrir ?

Le créole est une langue très riche. Je dois aller chercher dans des lexiques des mots de vocabulaire. Cela reste encore un apprentissage. Mais j’apprécie vraiment ce travail. J’ai l’impression de me rapprocher de quelque chose d’ancestral.

C’est aussi une langue qui sied à votre voix.

Le français est très difficile à chanter. Pas le créole. Alors je chante en créole et en français. C’est assez naturel pour moi. Parfois, les phrases viennent en français, d’autres, en créole. Je me laisse cette liberté de ne pas choisir.

Vous abordez plusieurs thèmes dans iViV, dont celui de la violence. Pourquoi ?

Ces thèmes sont venus naturellement parce qu’ils me touchent dans ma vie personnelle. Je m’intéresse à toutes les questions de société, notamment celles touchant l’égalité. Il faut en parler et les artistes doivent s’approprier ces sujets. Plus on en parle, plus on a de chance que les choses évoluent en douceur. J’ai eu la chance de grandir dans une famille pacifiste et bienveillante. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. D’autres vivent dans des cadres violents. En tant qu’artiste, j’essaie d’apporter tout ce que je peux, notamment de la lumière.

Et toujours avec douceur.

C’est ma manière d’être. Je me sens concernée par tout ce qu’il se passe. J’ai envie d’agir. Mais moi, c’est par la douceur. Je ne vais pas dans la confrontation. Cela transparaît dans ma musique.

Infos pratiques