1 200 Tours, c’est la vitesse à laquelle les cerveaux sont essorés dans ce monde pris dans un flux continu d’informations et de désinformations. Sidney Ali Mehelleb l’interroge dans cette pièce de théâtre, mise en scène par Aurélie van Den Daele, directrice du Théâtre de l’Union, CDN du Limousin et présentée jeudi 7 novembre au Préau, CDN de Vire. L’auteur raconte la vie d’une rédaction à la recherche du sujet qui fera la une de l’hebdomadaire, La Franchise, et fera exploser le nombre de ventes. Il suit également le parcours de quatre femmes, X, une rappeuse qui aurait été à l’origine d’une émeute un 14 juillet, Mira, son avocate, Raïssa, son amie d’enfance devenue députée, et Mère Courage, la vendeuse de journaux. Tout commence à la fin du mois d’août 2021. Entretien avec Sidney Ali Mehelleb.
La pièce a pour titre 1 200 Tours et un sous-titre, fable militante, naïve et pleine d’espoir. Votre intention était-elle d’écrire une fable ?
Non, j’avais écrit comédie militante, naïve et pleine d’espoir. Pendant le travail de création, Aurélie (van Den Daele, ndlr) et sa collaboratrice, Mara Bijeljac, ont pris le texte en main. À chaque fois, je leur laisse la possibilité de changer des choses. Pour elles, c’était davantage une fable qu’une comédie.
Pourquoi la définissez-vous comme naïve ?
La naïveté est cet endroit de lutte. Depuis pas mal de temps, ce mot a une connotation péjorative. Néanmoins, la naïveté permet de revenir à l’endroit de l’étonnement, de la réflexion. C’est aussi la naïveté de l’enfance avec un regard amusé sur les choses. Là, je suis plus dans la découverte que dans le jugement.
Où portez-vous un regard naïf ?
Il est à l’endroit des personnages. Ils ont tous une grande part d’enfance en eux et n’arrêtent pas de se mettre dans des situations rocambolesques. Quand j’ai écrit cette pièce, j’étais très inspiré par le film de Ernst Lubitsch, To Be Or Not To Be, une comédie qui se déroule pendant l’occupation allemande en Pologne. Une troupe de théâtre va contrecarrer les plans des nazis.
Dans cette pièce, vous interrogez aussi le rapport à l’information.
J’ai écrit pendant le premier confinement. Face aux informations qui nous arrivait, on se demandait à qui faire confiance, comment appréhender ce que l’on recevait des journaux. Je suis à l’endroit du théâtre alors j’essaie de m’en amuser. Mais on peut s’interroger sur les logiques financières des grands groupes, sur les logiques d’ego dans les rédactions, sur les logiques humaines. Les journalistes sont des personnes traversées par leur histoire, leur vie intime. Dans les rédactions, tout va très vite. Il faut faire des unes dans la précipitation, trouver des punchlines. C’est aussi intéressant de voir comme les gens circulent dans une rédaction.
Est-il là, votre côté militant ?
Oui, j’avais aussi en tête un documentaire, Les Nouveaux Chiens de garde, qui évoque les relations entre les experts de plateaux de télé et de radio et ceux de la presse écrite avec les entreprises du CAC 40 et les politiques. J’ai pas mal discuté avec des journalistes, notamment sur l’objectivité qui est à interroger. Il y a un rapport d’honnêteté parce que tout le monde assume de faire des choix. J’ai voulu rétablir la noblesse de l’endroit du militantisme. Militant signifie quelque chose. Ce n’est pas seulement être contre. C’est l’endroit du développement, de la nuance, de l’analyse, de la réflexion. Et cela demande du temps. Pour cette pièce, je me suis accordé ce temps afin de pouvoir parler du monde d’aujourd’hui.
Quels liens faites-vous entre le monde des médias et celui du hip-hop ?
Le lien a été vite fait. Le hip-hop a été pour moi une source d’informations. Je suis un enfant des quartiers Nord de Marseille. Avant d’aller vers les médias classiques, je m’informais sur mon quartier et sur le monde avec les rappeurs. Dans 1 200 Tours, le hip-hop traverse le théâtre pour le faire évoluer et le théâtre traverse le hip-hop pour le faire évoluer. Le hip-hop que j’aime, c’est celui qui raconte le quotidien, ce que nous traversons avec poésie. De plus, le hip-hop mêle tout, le dessin, la musique, le texte, la danse, le corps, le chant… C’est un endroit de rassemblement, tout d’abord pour faire la fête, puis pour sortir du quotidien qui est dur.
Aviez-vous une rappeuse en tête lorsque vous avez construit le personnage de X et pourquoi n’a-t-elle pas de prénom ?
J’avais dans ma tête Kenny Arkana et Casey. Diam’s aussi. J’avais mis en suspens son prénom. Je voulais trouver un blaze. J’ai alors écrit X. C’était hyper pratique et c’était avant que Twitter devienne X. Au fil de l’écriture, X s’est imposé. Comme un symbole mathématique. X, c’est aussi l’existence et la non-existence, la croix, la diagonale, l’inconnue. C’est assez simple et beau à la fois. Et c’est jouissif à dire dans la bouche. Quand j’ai écrit les paroles du morceau, ce X est devenu entêtant. En fait toute l’intrigue est basée là-dessus. Comment s’appelle ce personnage ?
Vous avez inventé quatre personnages féminins avec des caractères bien trempés.
Dans la vie, quand on est confronté à des situations extrêmes, on a le tempérament à fleur de peau. On veut défendre ses convictions. Pour cette pièce, je voulait une partition pour des actrices. Cela fait partie de mon côté militant. Pendant l’écriture, j’ai pensé à un autre documentaire, Les Roses noires d’Hélène Milano, sur ces filles qui ont pris les codes des garçons pour pouvoir exister. Il est évident de dire : il va falloir que le patriarcat se calme. X demande à Raïssa, son amie d’enfance, de la défendre. Il y a une filiation. Mère Courage, une vendeuse de journaux, fait partie de ces gens que l’on ne voit plus mais qui continue à faire leur métier. C’est l’endroit de transmission.
Où en êtes-vous dans l’écriture de 1 200 Tours ?
J’espère terminer les 1 200 séquences à la fin de cette année 2024. C’est comme un défi que je me suis lancé. Pour cette première partie, j’avais écrit 410 séquences. Elle en contient à peine 200. C’est un long projet.
Infos pratiques
- Jeudi 7 novembre à 20 heures au Préau à Vire
- Durée : 3h15
- À partir de 14 ans
- Tarifs : de 16 à 5 €
- Réservation au 02 31 66 66 26 ou sur www.lepreaucdn.fr