Jérôme Rémy : « les Scandinaves sont des raconteurs d’histoires »

photo : Franck Castel

Les Boréales commencent ce mercredi 20 novembre. Pendant dix jours, à Caen et ses alentours, le festival pluridisciplinaire, porté par Normandie Livre & lecture, fera un tour de la culture contemporaine nordique à travers 150 événements. La Finlande est l’invitée d’honneur de cette édition 2024 concoctée par Jérôme Rémy. Entretien avec le directeur artistique. 

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la culture nordique ?

Quand j’étais étudiant à l’Université de Caen dans les années 1990, on parlait plus volontiers des États-Unis, de la bourse, du cinéma mais pas de la Scandinavie. Puis, il y a eu un basculement d’intérêt pour les pays nordiques qui véhiculaient des valeurs opposées à celles portées par l’Amérique. On parlait de social, de démocratie, de parité, du statut de la femme… Il y a eu un effet zoom. En 1994, le festival existe depuis deux ans, Björk sort son premier album. On découvrira d’autres groupes musicaux. Il y a les films et les livres aussi. Le festival va bénéficier de cet intérêt nouveau et accompagner cet engouement.

Qu’aimez-vous tout particulièrement dans cette culture des pays du Nord de l’Europe ?

Si on reste dans le domaine musical, la pop tient une place importante. D’ailleurs, la Suède est le troisième pays exportateur de musique dans le monde. Dans ces pays, la culture est essentielle. Très tôt, les enfants pratiquent un instrument. Tout le monde chante. Les Scandinaves sont également des raconteurs d’histoires. Ils vivent dans de jeunes pays et ne sont pas marqués par des histoires nationales. Cela donne une dynamique de liberté.

Est-ce que les grands espaces qui caractérisent ces pays ont une influence sur les écritures ?

Oui, ces pays sont des terres de grands espaces. Le storytelling s’incarne dans ces lieux grandioses. La nature a une force supérieure. Elle est même un personnage. Dans les histoires, les auteurs et les autrices embarquent le lecteur ailleurs que dans des grandes capitales et dans des intrigues sociales et intrafamiliales. Cela crée des dynamiques différentes et des discours singuliers.

Pourquoi avez-vous choisi la Finlande pour cette édition 2024 ?

Le choix du pays se fait au gré des opportunités et des éditions. Il faut trouver une logique particulière, un lien avec la dynamique et la ligne de force d’un pays. La Finlande est un grand pays de culture. C’est aussi le pays où les habitants sont les plus heureux dans le monde. Cela repose sur le fait que l’éducation a une grande valeur et que les pratiques culturelles sont très développées. Il y a beaucoup d’artistes là-bas.

Le festival se veut d’ailleurs pluridisciplinaire.

Oui, nous essayons de rendre compte de la diversité de la création. En musique, par exemple, nous recevons Steve’n’Seagulls, un groupe de métal qui joue et chante très bien. Le concert d’Antti Paalanen est le concert événement de cette édition. Il joue de l’accordéon comme personne et a une voix d’un chanteur de métal. C’est très atypique. Arttu Silvast donne son premier concert en France. Il compose une musique cinématique minimale très, très belle.

En littérature, plusieurs auteurs et autrices parlent du peuple same. Qui est-il ?

La région du peuple same, c’est la Laponie. Or lapon est un terme péjoratif qui signifie gueux. Le peuple same, protégé et reconnu par les Nations unies, habite sur un territoire transnational qui va au-delà du cercle polaire. Il a une langue, une culture, des chants. L’économie est surtout liée à l’élevage du renne. C’est aussi un territoire un peu magique parce qu’il est celui du père Noël.  C’est le lieu d’un imaginaire.

Le festival propose une journée sur Les Mots de la nature. Est-ce difficile de traduire les livres scandinaves ?

Il y a un langage particulier parce qu’il y a une réalité particulière. Quand on parle de la neige là-bas, il n’y a pas seulement une seule neige. Chez nous, un épisode neigeux dure 48 heures. Là-bas, c’est de trois à six mois. Il y a la neige qui tombe, celle qui reste, celle qui se transforme au printemps, celle qui fond… Nous avons sollicité des traducteurs pour rendre compte de cette réalité. C’est un exercice intéressant.

Le festival commence par une rencontre avec une autrice finlandaise, Sofi Oksanen qui a écrit sur La Guerre de Poutine contre les femmes.

Elle est la plus importante romancière en Finlande. Elle est née d’une mère estonienne et d’un père finlandais, a une forte personnalité et un charisme assez rare. Elle a mené une enquête sur les femmes lors des premières semaines de guerre en Ukraine. Poutine utilise la violence sexuelle.

Infos pratiques