Pourquoi j’écris ?, s’interroge Gringe. La réponse se trouve dans ce nouvel album, Hypersensible, sorti en septembre 2024. L’un des deux Casseurs Flowters raconte avec une sincérité touchante le chaos du monde, une vive source d’angoisse, ses tourments profonds et ses démons qui l’envahissent depuis toujours. Il y a de l’indignation, de la colère dans ces textes incisifs. Il faut ajouter une grande mélancolie, de l’humour et néanmoins quelques lueurs d’espoir. Gringe sera en concert samedi 23 novembre au 106 à Rouen et samedi 30 novembre au Cargö à Caen. Entretien.
Hypersensible est le titre de cet album. Pourquoi avez-vous souhaité afficher ce trait de caractère ?
Je suppose pour annoncer la couleur. C’est une des graines qui est plantée. Tous mes projets, que ce soit le premier album ou le livre, sont très personnels. Ce deuxième disque est cependant moins centré sur moi. J’aborde les thématiques de la santé mentale, de la filiation, de la parentalité, des rapports amoureux… Je m’interroge aussi sur l’humanité, sur mon humanité. Je me suis demandé de ce qu’il était possible de faire de cette hypersensibilité. J’y est vraiment injecté toute ma sensibilité sans y mettre de filtre.
Avez-vous conçu cet album comme une suite de confessions qui est un des titres ?
Oui, ce sont en effet les confessions d’un hypersensible. Au départ, l’album devait s’appeler de cette manière : Confessions d’un hypersensible. J’ai trouvé ce titre un peu trop cinématographique et trop présomptueux. Alors j’ai seulement gardé Hypersensible. Les différents titres sont des confessions. Mais n’est-ce pas le rôle, la mission d’un artiste — je le vois chez les artistes que j’aime — d’embarquer dans un univers ? Dans certains morceaux, j’utilise le je, dans d’autres, j’emploie la troisième personne et je m’interroge. Je m’étais dit aussi : si je refais un album, je ne pourrais pas ne pas parler du climat politique dans lequel nous vivons. Je déballe mon sac.
Est-ce que cette hypersensibilité est un réel hyperpouvoir pour vous ?
Oui. J’ai l’impression que, plus on se connaît, plus on parvient à faire cet effort de curiosité. L’hypersensibilité nous renseigne beaucoup sur nous. Nous ne la vivons pas forcément bien lorsque l’on est enfant et ado. Ensuite, elle régit une façon de voir les choses, notre rapport au monde et aux autres. Pendant longtemps, elle a été un poids à porter. À 40 ans, je me sens plus serein, je me connais mieux et je la mets au service de mon écriture. Je m’en sers à bon escient.
Dans cet album, vous parcourez de nombreux sentiments.
Oui, je me pose beaucoup de questions. Confessions d’un hypersensible est un résumé de tout cela. Je reste encore pessimiste. Il faut aller trouver des réponses dans l’amour. C’est ce qui donne du sens à nos vies et nous sauve un peu de ce monde où les valeurs se délitent, où les pensées sont formatées. Mais un tel monde n’est pas fait pour un enfant. Ce titre fait écho à Au revoir BB.
D’où cette phrase : je ne reconnais rien dans mon pays.
Oui, je ne reconnais rien dans cette démocratie. J’ai grandi dans les années 1980 entre un père qui travaillait dans le secteur culturel et une mère, assistante sociale. Mon héritage politique est socialiste. Je ne cherche pas du tout à faire du prosélytisme mais j’ai mal. Pour avoir connu plusieurs présidences avec divers courants de pensée, je vois surgir un racisme décomplexé. C’est vrai, nous avons eu quelques alertes, notamment un deuxième tour d’une élection présidentielle avec Chirac face à Le Pen. Là, nous sommes dans un climat vraiment délétère et ça me fait froid dans le dos. J’ai entendu il y a quelques jours un journaliste belge évoquant le fait de ne jamais donner la parole à l’extrême droite. À une époque, c’était le cas chez nous et nous étions tous d’accord. Aujourd’hui, on a normalisé cette parole, ce parti et ses idéologies avec même des hommes de paille présents dans des émissions télévisées. C’est fou.
Justement, le mot absurdité revient souvent dans cet album.
Oui, je parle d’absurdité. Dans Effet de surplomb, il y a tout un inventaire d’absurdité. Nous avons tous un temps de vie limité. Nous sommes là pour faire le bien, pour bien vivre avec les autres. C’est aussi ce qui permet de trouver un sens à nos existences. Pour parler de tout cela, je garde une liberté de ton. C’est trop important de garder son libre arbitre, de retranscrire la réalité telle qu’elle est. C’est de cette manière que l’on peut éveiller des consciences et d’inviter à rester curieux.
Dans ce tableau sombre, vous laissez luire une lumière qui « jaillit tout au fond de nos êtres quand on s’y attend le moins ».
C’est une phrase de ma maman. J’aimais l’idée d’avoir sa présence sur cet album. Je lui ai demandé une définition de la lumière. Cette phrase est l’introduction de ce titre, Une Nuance au-dessus du noir. J’ai voulu cet album plus lumineux. Il faut péter les murs, se cybersuicider pour aller rechercher de la lumière.
Orelsan est présent sur Hypersensible. Les Casseurs Flowters ne meurent pas ?
Nous continuons à croiser le fer, Orelsan et moi. Mener un projet de groupe n’est pas d’actualité. Nous sommes restés tous les deux de grands ados pendant longtemps. Comme nous avions beaucoup de matière et de vécu, nous avions beaucoup à raconter ensemble. Aujourd’hui, nous travaillons sur plusieurs médiums et nous nous invitons sur nos projets respectifs. Chacun a besoin de l’avis de l’autre. Orel, c’est ma famille de cœur.
Pourquoi avez-vous travaillé avec Tigri ?
C’est un peu de lui que tout part. Il fait partie de ces jeunes beatmakers qui ont fait leurs armes tout seul. C’est facile à dire mais c’est un génie. Il sait tout faire. Il a une culture musicale très large et a su digérer tout ça. Il a su traduire mes envies et mes émotions. Pendant ce travail, nous deux sensibilités se sont bien entremêlées.
Infos pratiques
- Samedi 23 novembre à 20 heures au 106 à Rouen. Première partie : Marguerite Thiam. Tarifs : de 30 à 20 €. Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com
- Samedi 30 novembre à 19h30 au Cargö à Caen. Première partie : Sidney. Tarifs : de 32 à 23 €. Réservation en ligne