Benjamin Voisin : se rapprocher de l’extrême droite, « il n’y a pas que chez les voisins que ça peut arriver »

Louis (Stefan Crepon à droite) et Félix (Benjamin Voisin), deux frères qui s’aiment mais qui n’ont pas les mêmes fréquentations / photo Felicita - Curiosa Films

Avec quatre longs-métrages en treize ans — dont le mémorable Dix-Sept Filles en 2011 — Delphine et Muriel Coulin savent prendre le temps de peaufiner leurs films et c’est encore le cas aujourd’hui avec Jouer avec le feu, adaptation intense du roman de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit. Ici, les sœurs mettent en scène Pierre (Vincent Lindon), un veuf qui élève seul ses deux fils avec le même amour, le même intérêt. Alors que Louis (Stefan Crepon), le plus jeune, mène une vie calme et réussit dans ses études, Félix dit Fus (Benjamin Voisin), son aîné, préfère trainer avec les copains. Cheminot syndicaliste de gauche, Pierre assiste impuissant à l’emprise de ses fréquentations sur son fils et le voit se rapprocher d’un groupe d’extrême-droite… À la Mostra de Venise, Vincent Lindon a remporté la Coupe Volpi de la Meilleure interprétation masculine. Mais le lauréat, parfait en père meurtri et dépassé, ne serait pas aussi touchant dans son amour inconditionnel pour ses enfants s’il n’avait pas face à lui deux jeunes acteurs à la hauteur comme Stefan Crepon, impeccable dans la peau du fils réservé, et Benjamin Voisin, impressionnant en jeune en colère. Entretien réalisé lors du festival de Sarlat.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ces rôles ?

Benjamin Voisin : Le fait de jouer ensemble. On se connait depuis dix ans. On s’est rencontrés au cours Florent et on a partagé le même appartement pendant plusieurs années. Et puis j’aimais bien la souplesse d’esprit des réalisatrices quant aux votes extrémistes et aux pensées violentes qui peuvent subvenir de nos jours.

Stefan Crepon : Oui, le fait de jouer deux frères, ça donnait envie. Et moi aussi j’aimais l’intelligence du point de vue des deux sœurs qui laissent la possibilité au public de s’imaginer à la place de cette famille.

Comment avez-vous abordé vos rôles ?

Benjamin Voisin :  Je me suis trouvé chanceux parce que je n’avais pas beaucoup de choses à ramener de moi-même. J’ai trouvé que ce rôle n’était pas le plus compliqué à jouer mais sûrement plus compliqué à mettre en scène. Les sœurs Coulin me parlaient en permanence de sympathie : elles ne voulaient pas que Fus soit présenté comme un mec cool, sympa, mais en même temps, elles voulaient qu’il puisse venir de partout, de chez tout le monde, qu’on ne pouvait pas prédire qu’il allait mal tourner. Il n’y a pas que chez le voisin que ça peut arriver. 

Stefan Crepon : La difficulté pour moi a été de trouver ma place entre les deux autres. Il y a ces deux fortes personnalités (le père et le frère ainé, ndlr) qui se déchirent en permanence, et le cadet, plus taiseux, plus dans la retenue, doit trouver son équilibre. J’ai dû trouver dans les silences de Louis, comment il se positionne, comment et quand il prend parti pour l’un ou pour l’autre. 

Avez-vous eu, à un moment ou un autre, envie de jouer l’autre frère ?

Benjamin Voisin : La question s’est posée mais moi j’avais dit que je me fichais du rôle. Je voulais faire ce film.

Stefan Crepon : De toute façon, dès qu’on se met à tourner, on n’y pense plus. On reste dans cette esprit d’unité où l’on joue tous les uns avec les autres, et on ne pense qu’à défendre le bout de gras de son personnage.

Le comédien qui joue un personnage extrémiste, prend-il le risque lui aussi de « Jouer avec le feu » ?

Benjamin Voisin :  Personnellement je n’ai aucun mal à quitter un personnage, et tout le travail en amont ne va pas changer ma personnalité. Je fais très facilement la distinction entre qui je suis et ce que je fais. Je pourrais jouer un prêtre ou un tueur en série, les deux ne m’affecteraient absolument pas.

Stefan Crepon : Et ça pourrait être le même… (rire) Là, il y a une bonne idée de scénario.

Benjamin Voisin : (rire) On va la filer à Louis Garel…

L’un des deux frères vrille, malgré l’amour qui unit cette famille. Cela vous paraissait-il inéluctable ?

Benjamin Voisin :  Il y une phrase de Molière qui dit : « C’est dommage mais quoi ! Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi… » (L’École des femmes, ndlr) Je crois que c’est totalement vrai. On a beau aimé quelqu’un d’autre, on gère soi-même sa merde.

Stefan Crepon : Et puis dans le film, il y a un vrai travail sur les non-dits, et c’est ce qui se passe souvent dans les familles. Il y a beaucoup de choses qu’on n’arrive pas à se dire.

Que vous a apporté la présence de Vincent Lindon ?

Benjamin Voisin : Son nom de famille déjà. Quand Vincent Lindon fait un film, il sait souvent de quoi il parle, et si on aborde des sujets politiques, c’est souvent imprimé sur un truc assez concret.

Et comment travaille-t-on avec lui ? Est-ce qu’il prend de la place? Est-ce qu’il vous accueille ?

Stefan Crepon : C’est marrant parce que c’est deux en fait. Il prend de la place et il vous accueille. Même sans dire un mot, il prend de la place avec la carrière qu’il a, l’aura qu’il a. On ne peut rien y faire et lui même ne peut rien y faire. C’est une présence extrêmement forte sans être écrasante. Il nous a laissé la place pour nous exprimer. Très vite, le trio tel qu’on le voit dans le film s’est formé. Et c’était également le cas sur le plateau.

Benjamin Voisin : Et puis, on ne va pas jouer les faux humbles : Vincent nous a beaucoup aimés parce qu’on ne va pas sur les réseaux sociaux, parce qu’on vient du théâtre, parce qu’on est impliqués dans des films qui demandent un certain goût artistique.  Il a bien vu qu’on était là pour rendre la cause du film la plus audible et belle possible. Et je pense qu’on lui a beaucoup apporté aussi, question détente : il n’en revient pas d’avoir eu un prix d’interprétation à Venise parce qu’entre deux prises, on passait notre temps à jouer au football. On a vraiment passé un très bon moment ensemble et le film s’en ressent.