Il y a une sincérité touchante, une fureur et une urgence dans l’écriture de Martin Luminet. Certes son regard laisse transparaître une colère mais l’artiste, auteur, compositeur et interprète d’origine lyonnaise, garde profondément un espoir dans Deuil(s) et Après Deuil(s), une réédition du premier album enrichi de quatre nouveaux titres. Il partage ainsi ses inquiétudes du moment, les tremblements de terre intimes vécus et ses doutes. Comme le passage de l’adolescence au monde adulte, les violences, les bouleversements climatiques, la société inégalitaire, les disparitions… Et ce, sur une pop mélodique. Martin Luminet sera en concert mardi 28 janvier au Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen. Entretien.
La musique ne faisait pas vraiment partie de votre vie. Comment s’est-elle imposée ?
Je ne l’ai pas choisie. Je ne devais pas jouer de la musique. J’étais prédestiné à reprendre la chocolaterie de mon grand-père. Et c’était bien ancré dans ma tête depuis mon enfance. Puis, j’ai suivi mes copains qui répétaient dans un local et j’ai découvert là une manière de parler des émotions et avant cela, de les découvrir. Ce fut un gros bouleversement dans ma vie. La musique n’a donc pas été un choix conscient mais une sortie de route, une survie effective et intime.
Pourquoi une survie ?
Les chansons parlent de sujets très intimes. Je mets dans l’écriture tout ce qu’il est difficile de dire de cette manière. Parce que c’est plus fort que moi. Quand j’éprouve une grande joie ou une grande tristesse, je ne peux pas domestiquer mes sentiments.
Pour vous, l’écriture devait être un exercice solitaire.
L’écriture est arrivée tard. Pour moi, c’était la première fois que je me sentais capable de faire quelque chose et que je prenais le pouvoir sur cette chose. J’ai commencé seul mais, très vite, j’ai eu envie de m’entourer. J’ai pratiqué des sports collectifs avec mes amis et mes cousins. Pour moi, il était évident de continuer la musique avec une équipe. Certes c’est un métier de solitaire mais après il faut tout partager. Une chanson est terminée quand elle arrive à l’oreille d’une personne.
Vous considérez-vous comme témoin lorsque vous écrivez ?
Témoin, ça me va. Je n’ai pas les épaules pour être un militant. Chacun a sa place. Pour moi, les témoins sont des personnes-clés pour raconter un fait, dire une vérité. J’aime bien cette notion de témoignage parce que l’on tolère une marge d’erreur et une subjectivité. Quand je vois la violence dans le monde, dans la société, dans nos cercles intimes, je ne peux pas faire comme si rien se passait. Tout cela arrive dans ma tête et dans mon cœur.
Face à cette violence, vous envoyez « une balle dans la tête de cette époque ».
Nous sommes dans un virage un peu tendu. Je suis triste que la musique ne soit pas posée comme un acte de contestation à tout cela. Nous sommes libres et nous ne pouvons pas rater cette tribune. Nous ne pouvons pas céder la place à d’autres voies qui façonnent les consciences.
La musique peut aussi amener une beauté.
Oui, carrément. Cela se fait en deux étapes. Il faut soulever une vérité puis trouver une lumière. Sinon, nous allons tous crever.
Vous restez néanmoins optimiste.
Oui, grave. Je ne suis pas dans l’abnégation. C’est la merde et nous n’avons pas le droit de nous contenter de dire. Nous en sortirons avec l’espoir.
En attendant, il faut « serrer les dents », comme vous le chantez.
Oui et il y a plusieurs façons de le faire. Il faut encaisser et comprendre d’où vient cette violence. C’est après que l’on retrouve nos facultés d’agir.
Vous avez réédité votre album où votre chant et votre ont complètement changé. Est-ce que la scène a levé quelques barrières ?
J’ai toujours voulu éclore par la scène. C’est l’endroit le plus précieux pour consoler quelque chose. Les chansons ont évolué grâce à la scène, grâce au public. Celui-ci transforme, grandit et donne de l’ampleur à un titre. Pendant ces deux années et demie de tournée, la scène m’a fait beaucoup de bien. C’est dingue tout ce qui est arrivé depuis le début et la sortie de l’album. Je suis très heureux.
Et votre voix ?
Au-delà de la voix, il y a le rapport au corps qui est étrange. Un corps que je n’assume pas beaucoup. J’ai dû aussi affronter une timidité. Je n’ai pas le tempérament d’une personne qui s’impose. Là, j’ai livré tout ce que j’avais dans les tripes. J’ai mené un travail sur le corps. J’ai dû assumer ma voix. Il n’y a rien de plus bizarre que d’entendre sa voix. Chanter, c’est une forme de lâcher prise. Pourtant, on met en commun tout ce qui est en nous, toute notre vulnérabilité. Ce n’est pas facile mais ça fait un bien fou.
Pensez-vous au deuxième album ?
Je suis en train d’écrire. Le temps s’est allongé et je n’ai pas envie que ce deuxième album sorte dans très longtemps. Le premier a porté sur le deuil. J’étais en boucle là-dessus et j’avais besoin d’en parler. Le deuil est arrivé par accident. Sont venus ensuite des sujets sociétaux, d’autres deuils parce qu’il faut enterrer son enfance. Ce fut un fil conducteur. Maintenant, il faut le laisser partir, le mettre à une bonne place. Après ce chemin parcouru, je me demande maintenant ce qui a fleuri.
Infos pratiques
- Mardi 28 janvier à 20h30 au Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen
- Tarifs : de 27 à 16 €
- Réservation au 02 35 73 95 15 ou sur www.trianontransatlantique.com
- Aller au concert en transport en commun avec le réseau Astuce