Quand on pense à Magyd Cherfi, viennent d’emblée le nom de Zebda et tous ces tubes engagés et dansants. Au fil du temps, Magyd Cherfi a multiplié les formats d’écriture. La chanson est toujours là mais en solo. Il a publié un quatrième album, Le Propre des ratures, entre rock et reggae. Il a ajouté des billets d’humeur, des nouvelles et un roman, La Vie de ma mère. Un point commun à toutes ces écritures : la même volonté de témoigner empreinte d’une colère qui ne pourra jamais s’apaiser. Dans Le Propre de la rature, Magyd Cherfi parle beaucoup des femmes et de leurs revendications, des personnes invisibles, de sa ville, Toulouse. Le Tour inattendu, titre de sa tournée, passe par l’espace culturel de la Pointe de Caux à Gonfreville-l’Orcher mercredi 5 février. Entretien avec Magyd Cherfi.
Est-ce que l’écriture tient de plus en plus de place dans votre travail ?
Oui, elle tient davantage de place. Les années se succédant, j’écris de plus en plus avec cette peur de ne plus avoir assez de temps. Je passe mes journées à écrire une chronique, une pièce de théâtre, un scénario de cinéma, une chanson.
Vous aimez passer d’un format à un autre.
Cela m’est imposé. Parfois j’ai envie d’écrire une chanson. Avec ce format, je sais que j’ai peu de temps et de mots. J’ai fait cet apprentissage avec Zebda. Puis est venue la littérature. Là, il faut rentrer dans le détail, trouver un style, étirer les mots. En fait, c’est l’envie qui impose le format.
Est-ce toute votre écriture est militante ?
Oui, mon écriture s’est imposée par ma propre vie. Je suis le fils d’immigrés algériens, piétinés par la société française qui les a tétanisés pendant toute leur vie. Mes parents sont devenus français par la force du temps. Cela m’a mis dans un élan, dans un engagement politique. Il fallait que je dénonce cela. Je ne sais pas écrire autre chose que la dénonciation du racisme, de l’antisémitisme, de l’homophobie…
L’écriture nait d’une colère.
J’ai bien peur que oui. C’est mon quotidien. Je suis entouré de familles et d’amis d’origine maghrébine — mais pas que — et de gens qui appartiennent à un milieu populaire et fragile. La colère est un état permanent chez moi. Lorsque l’on voit que 12 millions de personnes votent pour le Rassemblement national, on se dit : décidément, ils veulent que l’on parte. Avant, nous étions non-désirés, maintenant, nous sommes considérés comme une menace. Et cela me met dans une colère permanente. Aujourd’hui, j’arrive à prendre de la distance et à injecter de l’humour.
Comment êtes-vous parvenu à prendre du recul ?
C’est le confort intellectuel, le confort matériel. J’ai vécu de manière privilégiée. Ce confort permanent permet la distance. Quand vous travaillez à l’usine, vous n’avez pas le luxe de ce recul.
Vous parvenez aussi à insérer de la douceur dans votre écriture lorsque vous évoquez des parts plus intimes.
Oui, c’est vrai. J’aborde de temps en temps des parts plus intimes. Longtemps, cela m’a été tabou. J’avais une certaine culpabilité à ne pas dénoncer. Avec le temps, j’ai appris à être dans une forme d’intimité.
Est-ce difficile de dire je ?
Oui, c’est difficile. Cela ramène à une littérature autobiographique. Je sais dire ce que j’ai vécu. Raconter la violence humaine, l’humiliation, l’exil, le racisme, c’est assez douloureux. Vous trempez votre plume dans l’innommable. Vous entrez dans votre univers pour dépeindre des personnages fragiles, cassés. Et il faut romancer.
Votre album a pour titre, Le Propre des ratures. Où est sa beauté ?
Elle est davantage dans le mouvement qui consiste à réparer la rature, qui va tendre vers l’amélioration et l’élévation de l’âme, qui tire vers le haut grâce à l’éducation, l’érudition, le libre arbitre. C’est ce mouvement qui tend vers la beauté.
Les femmes sont très présentes dans cet album. Pourquoi ?
Cela fait plus de trente ans que j’écris. Ma femme, mes sœurs m’ont dit plusieurs fois : » mais parle de nous, imbécile ! Dis-leur ce que nous avons subi ! » J’ai perçu l’invisible, l’humiliation. J’ai alors abordé le sujet petit à petit, album après album. Je me suis même mis à incarner une femme dans une chanson. Cela fait partie des thèmes qui me sont chers. C’est naturel chez moi. J’ai eu une mère qui nous faisait faire la vaisselle, passer la serpillère, habiller les petits frères… Cela n’a donc jamais été une construction intellectuelle. L’équité est naturelle. J’ai fait le parallèle entre le combat mené par les personnes immigrées et celui des femmes parce que j’ai entendu les mêmes revendications.
Pourquoi dites-vous que Le Propre des ratures est votre dernier album ?
Par provocation. Je fais mon Aznavour local. Quand nous avons démarré avec Zebda, j’avais 17 ans. Je me disais : nous allons changer le monde et je serai le porte-parole des personnes immigrées. Trente-cinq ans plus tard, je sais que je ne changerai rien. Il y a eu une désillusion. Ce qui m’a amené à considérer que toute cette création, ces chefs-d’œuvre ont une part futile. Il y a une espèce de découragement. D’où cette envie de faire une pause et d’être dans la contemplation.
Vous parliez de beauté tout à l’heure. La création a cette fonction d’en amener dans ce chaos.
En vérité, la création ne sert pas tout à fait à rien. Les chefs-d’œuvre ont éclairé une humanité mais seulement une infime partie d’une minorité.
Comment imaginez-vous ce Tour inattendu ?
Il y a le plaisir de monter sur scène, de dire des choses singulières, de caboter. Je cabote en espérant que le public lise entre les lignes. Je veux être en correspondance avec ma pensée pour projeter une lumière militante et humaniste. Ces concerts sont comme des îlots de résistance. Et je suis fier que des lieux m’interpellent.
Infos pratiques
- mercredi 5 février à 20h30 à l’espace culturel de la Pointe de Caux
- Tarifs : de 14 à 2 €
- Réservation au 02 35 13 16 54 ou en ligne