Un cinéma, entre sororité et création

Dans "Manas" de Marianna Brennand, Marcielle découvre le monde de corruption installée sur son île de Marajó, au cœur de l’Amazonie / Photo : DR

Du 28 février au 2 mars, le festival Elles font leur cinéma revient au cinéma Omnia à Rouen pour sa 11ᵉ édition. À travers une sélection de longs et courts-métrages venus des quatre coins du monde, l’événement met en lumière des réalisatrices qui interrogent la condition féminine et les dynamiques de pouvoir. Projections, échanges avec les cinéastes et vote du public rythmeront ces trois jours placés sous le signe de la sororité et de la création.

Réalisée avec soin par une équipe féminine engagée depuis 2012, la sélection donne à voir et à entendre des femmes debout, d’ici ou d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. Dans la programmation, six films racontent des histoires de résilience et de résistance face aux violences, aux injustices ou aux carcans sociaux. Manas de Marianna Brennand suit Marcielle, une adolescente vivant sur une île en Amazonie, confrontée à un monde d’exploitation et d’abus, mais déterminée à s’émanciper et à protéger les siens. La Vierge à l’Enfant de Binevsa Berivan dresse le portrait d’Avesta, une jeune Yézidie rescapée de Daech, qui trouve refuge à Bruxelles et se bat pour obtenir justice. Ces parcours individuels soulignent l’importance du cinéma comme vecteur de visibilité, de terrain d’engagement et de transmission. 

Les courts-métrages abordent également cette thématique sous différentes formes : Emma La Rouge revisite le destin d’Emma Goldman, militante anarchiste et féministe, tandis que Batardes Glorieuses suit trois femmes en mission dans une forêt, symbole de leur indépendance et de leur solidarité. En articulant des récits intimes et collectifs, le festival donne à voir des héroïnes de la vie réelle ou fictive, animées par une volonté farouche de transformation et de liberté.

Le documentaire comme outil de témoignage

Le cinéma documentaire occupe une place centrale dans cette 11e édition, confirmant son rôle fondamental dans la transmission des expériences féminines et la dénonciation des inégalités. Black Box Diaries de Shiori Ito illustre parfaitement cette approche. La réalisatrice et journaliste y raconte son propre combat contre le silence et l’impunité après avoir été victime d’un viol au Japon. Sélectionné à Sundance et aux Oscars, ce documentaire met en lumière le poids des normes patriarcales et le difficile chemin vers la reconnaissance des violences subies. Au Lendemain de l’Odyssée d’Helen Doyle suit quant à lui des femmes nigérianes qui, après un périple éprouvant, arrivent en Italie avec l’espoir d’un avenir meilleur.

À travers ces récits, le documentaire devient un outil de sensibilisation mais aussi de résistance, offrant une voix à celles qui ont longtemps été réduites au silence. D’autres films s’inscrivent dans cette logique de transmission, comme Voyage de documentation d’Anita Conti, qui retrace l’expérience de la première femme océanographe française embarquée sur un chalutier en 1952, ou encore Il suffit d’écouter les femmes, un retour historique sur l’avortement clandestin en France avant la loi Veil. En proposant des échanges après les projections, l’équipe renforce l’impact de ces témoignages et invite le public à une réflexion collective.

La place des femmes dans l’industrie cinématographique

Malgré une reconnaissance croissante, les femmes restent sous-représentées dans l’industrie cinématographique, comme le souligne le chiffre de 27 % de films réalisés par des femmes en France en 2024. Le festival Elles font leur cinéma cherche à combler cette lacune en mettant en avant des réalisatrices qui explorent divers genres cinématographiques. Le documentaire Witches d’Elisabeth Sankey propose une lecture originale du cinéma en établissant un parallèle entre les représentations de la sorcière à l’écran et les réalités de la dépression post-partum. L’animation est également à l’honneur avec Je ne suis pas de Valentine Zhang et And Granny Would Dance de Maryam Mohajer, deux courts-métrages qui offrent des visions singulières et poétiques du parcours féminin. 

Le festival témoigne ainsi de la diversité des formes et des récits proposés par les créatrices d’aujourd’hui. À cela s’ajoute une reconnaissance accrue, comme en témoigne la projection de Il reste encore demain de Paola Cortellesi, succès en salle qui montre la vitalité du cinéma féminin. Enfin, la remise du prix La Lucy, qui récompense le meilleur court-métrage selon le vote du public, symbolise l’importance d’encourager ces nouvelles voix et de leur donner la place qu’elles méritent.

Infos pratiques