Jean Teitgen : « Sur scène, il y a cette magie qui vous permet d’être plus grand que vous ne l’êtes dans la réalité »

photo : studio Harcourt

Arkel, roi d’Allemonde, apparaît comme un sage, un homme de cœur, convaincu de l’innocence de Mélisande. Il assiste à la jalousie de Golaud, son petit-fils, à l’amour naissant et interdit entre Pelléas et Mélisande, respectivement le demi-frère et la nouvelle épouse de ce dernier. Jean Teitgen reprend ce rôle d’Arkel, un personnage de l’opéra de Claude Debussy, Pelléas et Mélisande, dans la production mise en scène par Éric Ruf, en répétition à l’Opéra de Rouen Normandie avant des représentations sans public et la diffusion d’une captation mardi 26 janvier. Installé en Normandie, Jean Teitgen, à la présence lumineuse, est une voix de basse entendue dans de grandes salles et divers répertoires. Entretien avec l’interprète qui retrouve le plateau du Théâtre des Arts après un Don Giovanni de Mozart.

Vous êtes à nouveau Arkel. Est-ce un rôle qui vous tient particulièrement à cœur ?

C’est un rôle que j’avais envie de chanter parce qu’il est très profond, très humain. Arkel est le personnage, peut-être, le plus humain de cette histoire, le plus bienveillant envers Mélisande.

Quel regard portez-vous sur l’œuvre, Pelléas et Mélisande ?

Pelléas et Mélisande est un opéra très émouvant, très fin, dont le texte est très important. On peut dire comme tous les opéras. Mais il y a un danger dans celui-ci : faire un peu trop de parler-chanter. Ce qui ne peut pas se produire dans une œuvre de Verdi, par exemple. Il faut alors garder une ligne de chant, une vraie conduite de phrases, tout en servant le texte. Il est important de bien le dire et de bien le chanter., en fait de trouver un équilibre

Comment avez-vous abordé ce rôle d’Arkel ?

J’ai abordé ce rôle au moment de la création de cette production avec Éric Ruf (metteur en scène, ndlr) qui est un directeur d’acteur très fort. Son travail est un éloge du minimalisme. Avec lui, on n’est pas du tout dans l’exubérance mais dans la précision. Quand j’ai travaillé ce rôle, j’ai beaucoup pensé à la bienveillance envers Mélisande.

Vous le reprenez à l’Opéra de Rouen Normandie. Est-ce que le personnage d’Arkel avait encore quelques secrets pour vous ?

Je n’ai pas forcément redécouvert des choses. C’est un opéra que l’on habite peut-être en profondeur quand on vieillit. Néanmoins, Pelléas et Mélisande est une pièce très simple sur les choses les plus essentielles, une histoire d’amour entre deux jeunes gens dans un huis clos oppressant. Cette œuvre me fait penser à La Belle et la bête de Cocteau avec cette espèce de malédiction de la forêt qui ne s’arrête jamais puisqu’elle se termine avec la naissance d’une petite fille.

Arkel est le seul à voir l’innocence de Mélisande.

Il la voit comme une belle jeune femme qui vient éclairer la vie sombre du château. Cela va au-delà de la pensée négative en rapport avec l’adultère. Arkel est un être éclairé.

« Servir le texte et la musique demande beaucoup de technique« 

Est-ce un rôle techniquement difficile à chanter ?

Techniquement, non. Mais ça dépend. Quand je l’ai chanté il y a deux ans, je pense qu’il n’y avait pas forcément assez de legato. J’ai progressé depuis. Le rôle n’est pas difficile par la tessiture. Il est moins difficile qu’un grand rôle d’un opéra italien ou allemand. Ce n’est pas là que ça se passe mais davantage dans l’émotion. Servir le texte et la musique demande beaucoup de technique.

Depuis plus de dix mois, vous êtes loin des scènes. Comment travaillez-vous votre voix ?

C’est un enjeu majeur pour tous les musiciens professionnels aujourd’hui. Chacun répète chez soi mais ce n’est pas la même chose que de travailler dans un théâtre, de se produire devant un public. Sur scène, on progresse beaucoup plus vite. Il n’est pas facile de garder son niveau quand  on reste chez soi. Cela demande plus de travail pour se remettre en forme, ne pas perdre les muscles et récupérer son niveau. 

Pourquoi la scène permet de progresser plus rapidement ?

Il faut une combinaison. Je travaille chez moi avec un pianiste. J’ai aussi travaillé avec une professeure qui m’a donné des outils pour me reconstruire quand je peux être perdu. C’est vraiment la scène qui est le grand révélateur. Devant le public, vous arrivez à chanter des choses qui restent difficiles quand vous êtes dans votre salon. Vous prenez la mesure du rôle pour lequel vous êtes engagé. Un rôle qui est toujours plus grand que vous. Un roi est plus grand que Jean Teitgen. Chez moi, j’ai parfois du mal à endosser cet habit. Sur scène, il y a cette magie qui vous permet d’être plus grand que vous ne l’êtes dans la réalité.

Est-ce ce travail qui vous permet d’aborder un répertoire si varié ?

Oui, absolument. Certains rôles des opéras de Wagner sont tellement, tellement difficiles que celui de Raimando dans Lucia di Lammermoor vous parait facile. Cela permet d’aborder le travail avec nuance et sérénité.

Infos pratiques

  • Trois représentations sans public vendredi 22, dimanche 24 et mardi 26 janvier au théâtre des Arts à Rouen
  • Captation et diffusion en direct mardi 26 janvier à 20 heures sur le site de l’Opéra de Rouen Normandie et ses réseaux sociaux (Facebook et Youtube) et sur La Chaîne normande
  • Enregistrement les 24 et 26 janvier par France Musique pour une diffusion ultérieure
  • Lire également l’interview de Pierre Dumoussaud qui dirige l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie dans Pelléas et Mélisande.
  • photo : studio Harcourt