L’Opéra de Rouen Normandie se sépare de Jane Peters

photo : Frédéric Carnuccini

Suite à une enquête qui met au jour la souffrance de la quasi totalité des musiciennes et des musiciens. Loïc Lachenal, directeur de l’Opéra de Rouen Normandie, a pris fin mai la décision de licencier Jane Peters. La raison : une tension entre le violon solo et l’orchestre. Une procédure est en cours.

Un licenciement pour faute et une saisine en référé au tribunal des Prud’hommes pour harcèlement moral : voilà deux faits qui ont secoué l’Opéra de Rouen Normandie. Quel motif a pu conduire le directeur, Loïc Lachenal, à prendre la décision de se séparer de Jane Peters à la fin du mois de mai ? Pourquoi la musicienne, violon solo qui a écrit l’histoire de cet orchestre, a lancé une telle procédure ? Cette histoire, pas du tout musicale, remonte à plusieurs années et « a impacté la vie de l’orchestre », en raison de « dysfonctionnements » et d’un « climat de travail qui s’est fortement dégradé », souligne Loïc Lachenal. Et ce, dès le début des années 2010, après le départ de Bertrand Mahieu, autre violon solo pendant quatorze ans.

Une fissure n’a cessé de s’allonger entre Jane Peters et la quasi-totalité des musiciennes et musiciens. Informées des manques de compréhension et des problèmes relationnels, les directions successives ont tenté de retisser les liens et renouer une parole entre le violon solo et le reste de l’orchestre en mettant en place le suivi avec un psychologue du travail et un coach personnel. « Il y a eu une recherche de solutions de manière collective ». Puis, il y a eu une dénonciation de harcèlement moral de la part de Jane Peters. Ce qui a enclenché une enquête interne. Celle-ci non seulement démontre que « Jane Peters n’est pas victime de harcèlement moral » mais « alerte sur une situation de souffrance chez les musiciens. Nous voulions comprendre ce qui se passait », explique Loïc Lachenal. 

« Les alertes sont sérieuses »

Début 2020, une nouvelle enquête est menée auprès d’une quinzaine de membres de l’orchestre et de l’entourage professionnel direct. « Les alertes sont sérieuses ». Il en ressort « des troubles du sommeil », « des pertes de confiance », « une charge émotionnelle », « des stratégies d’évitement par rapport à Jane Peters ». « Nous avons tous souhaité partager les constats de cette étude avec elle. Il était à nouveau important de rechercher des solutions ensemble. Il y a eu trois refus. Son avocat nous a fait savoir qu’elle ne viendrait pas. Il y a là un déni de l’autre, de son propre comportement et des problèmes », rapporte le directeur de l’Opéra de Rouen Normandie. « Un devoir s’est imposé à moi : la protection des personnes et la bonne marche de la maison ». Il a tout d’abord décidé d’une mise à pied conservatoire « en espérant un sursaut » avant d’entamer une procédure de licenciement « après un constat de blocage ».

C’est le comportement de l’artiste qui est pointé et pas du tout son talent. Le public de l’Opéra de Rouen Normandie a en effet pu apprécier ses interprétations fines, inspirées et souvent intenses. « Elle joue magnifiquement bien », remarque une musicienne. Le rôle du violon solo est essentiel dans un orchestre. « Il doit avoir des capacités musicales exceptionnelles et des qualités de leadership, rappelle Loïc Lachenal. C’est le premier manager. Il a pour mission de transmettre à l’orchestre les intentions de la direction musicale. Il doit alors avoir des capacités humaines. Et cela a fait défaut ».

Une tristesse

Les témoignages des musiciennes et des musiciens s’accordent. « Nous nous sommes aperçus que nous avions tous des histoires individuellement et que nous étions en souffrance ». Il y a eu « une soirée périlleuse », des moments où « on ne va pas tenir ». « Nous sommes 40 à nous faire des nœuds au cerveau. Quand on joue, on se demande ce qui va se passer ». Il y a aussi ces messages contradictoires « entre le chef et Jane. Quand un dit A et l’autre dit B, vous le soulignez mais vous vous faites rembarrer à tour de rôle. Alors vous vous recroquevillez sur vous-même et vous ne dites plus rien. Ça, nous l’avons tous vécu ». 

Dans l’orchestre, « tout le monde est triste ». « Nous avons morflé ». « Jane est allée au casse-pipe toute seule ». « Peut-être y a-t-il eu une erreur de casting ? On a voulu une icône. Jane n’a pas saisi toute l’implication qu’elle devait avoir ». Face à cette situation, Loïc Lachenal confie avoir été « surpris de l’élégance des musiciens et de leur magnanimité. Personne ne m’a demandé sa tête et Jane n’a pas saisi cette générosité ».

Les conclusions le 6 juillet

Et maintenant ? « Certains disent que la maison est en crise. Ce n’est pas le cas. Ces épisodes douloureux nous appartiennent et nous en sortons avec des points de fragilité ». Néanmoins, le directeur de l’Opéra de Rouen Normandie veut rester confiant : aujourd’hui, « il y a un mélange de soulagement et d’enthousiasme. Nous pouvons enfin retrouver nos métiers. Il y a la joie de reprendre. Les équipes ont fait bloc ». Dans le « baromètre RH », les taux de satisfaction des salariés, stables depuis trois ans, s’élèvent à 7,23/10 au sein de l’Opéra et à plus de 8/10 dans l’orchestre.

La procédure est toujours en cours. Contactée, Jane Peters préfère garder le silence. Son avocat n’a pas répondu à notre sollicitation. Les conclusions devaient être rendues le 15 juin. Elles le seront le 6 juillet après une demande d’un délai supplémentaire de la part de l’avocat.

© photo : Frédéric Carnuccini