UssaR : « Le Havre procure beaucoup de fantasmes »

photo : Chloé Nicosia

Pendant plusieurs années, UssaR a été dans l’ombre, en tant que pianiste, producteur, directeur musical, arrangeur. Il a été aux côtés de CharlÉlie Couture, Youssoupha, dj Pone, Kery James… Il est désormais dans la lumière. Une lumière certes tamisée. UssaR, de son nom, Emmanuel Trouvé, frère de Camille Trouvé, à la direction du CDN de Normandie Rouen avec Brice Berthoud, crée un univers intime avec des textes poétiques, souvent sombres et bouleversants, des nappes sonores, acoustiques et électroniques. C’est sa voix chaude et un piano délicat qui viennent apporter de l’éclat à cet album, Étendues. UssaR est en première partie de Yseult mardi 23 novembre au Tetris au Havre dans le cadre du festival Piano is not dead. Entretien.

Vous venez au Tetris au Havre dans le cadre d’un festival consacré au piano. Quel rapport entretenez-vous avec votre instrument ?

J’ai un rapport très libre au piano. Mon professeur m’a donné des clés d’improvisation et permis d’avoir un rapport très créatif. Je n’ai pas eu ces longues heures de torture à jouer et rejouer. Quand j’arrive au piano, il faut qu’il se passe quelque chose. Je viens lui dire bonjour et il doit sortir une mélodie. Mais ce qui est frustrant avec cet instrument, c’est qu’il a tout le temps le même son. Un do sonne toujours pareil. Il est alors parfois un aboutissement, à d’autres moments, un outil. Je vais travailler sur d’autres textures et j’y reviens. J’ai donc un rapport d’amour et de haine.

Pourquoi considérez-vous que vous avez commencé à jouer très tard ?

J’ai commencé à l’adolescence. Pour jouer d’un instrument, c’est très tard. Ce n’est pas possible de devenir un virtuose. Alors j’ai compensé par autre chose. À partir du moment où j’ai commencé le piano, le lycée m’a moins vu. J’y passais des heures et des heures. J’explorais. C’était une vraie découverte et une nouvelle voie qui s’ouvrait pour moi. Le piano est devenu une passion.

Pendant plusieurs années, vous vous êtes mis au service d’autres artistes.

C’est une place que j’affectionne aussi. C’est agréable et formateur de mettre sa musicalité au service de la musique de l’autre, de comprendre ce que recherche l’artiste. Ce peut être également très confortable parce que cela permet une distanciation.

Vous avez la possibilité de tenir différentes places.

C’est ce que je fais en effet. Ma formation et mon instrument m’ont amené à tenir une place d’arrangeur et de directeur musical. Là, votre propre musique existe dans celle de l’autre. Je trouve cela très beau. Cela permet d’avoir un rapport singulier avec l’artiste. On parle artistique et non exécution.

Quand s’est imposé votre projet musical ?

Je ne le sais pas vraiment. J’ai composé et les morceaux m’ont obligé à aller les assumer. Les chansons m’ont emmené sur le devant de la scène. Quand vous avez goûté à ce pas de deux, à ce moment où le public chante avec vous. Il n’y a pas grand-chose qui vous arrête. Cela n’exclut pas cependant un retour à l’accompagnement.

Avez-vous ce même rapport libre à l’écriture, comme au piano ?

J’ai une écriture plus ou moins automatique. Je ne pense jamais à l’histoire que je veux écrire. Je raconte une histoire. C’est le propre de la création. C’est l’errance, le voyage, un conflit entre l’intime et le public, l’intérieur et le dehors. Je fais en sorte d’emmener les morceaux vers la lumière. C’est à la fin de l’écriture que je me rend compte que je raconte une histoire.

Avec le piano ?

Oui, je ne peux dissocier les deux, l’écriture et le piano. J’ai un rapport d’émerveillement parce qu’il est encore neuf. Je me surprends davantage en écrivant qu’en jouant.

Qu’aimez-vous dans le format chanson ?

J’aime raconter des histoires. J’aime quand on me raconte des histoires. Une chanson appelle une dramaturgie. Mais cela n’a pas non plus été réfléchi. Dans la chanson, il y a des formats hybrides.

Votre musique semble être un ensemble de couches sonores. La composez-vous de cette manière ?

Oui, complètement. C’est quelque chose que je revendique. J’aime quand l’auditeur revient à un titre tout en découvrant de nouvelles choses. Il se peut qu’une texture, un bruissement ou une assonance, un jeu de mots lui aient échappé. C’est un 1 000 feuilles. Je veux garder ce pouvoir de rejouabilité, cette envie d’y revenir. 

Est-ce que le terme de chanson impressionniste vous conviendrait ?

Je ne sais pas. Elle est à coup sûr cinématographique. Elle pose des ambiances.

Vous avez choisi ce nom de scène, UssaR. Est-ce que la musique renvoie à une lutte intérieure ?

Il y a ce combat de la création, de l’acceptation, du fait d’assumer sa création. Je ne sais pas s’il est toujours violent.

Y a-t-il un lien avec la boxe, un sport que vous pratiquez ?

Il y a beaucoup de lien entre musique et boxe. Pour l’une, on est sur une scène. Pour l’autre, sur un ring. Il faut accepter de prendre des coups et d’en donner, de montrer sa fragilité. Avec une chanson, on peut prendre des coups à l’estomac et il faut trouver la punch line.

Dans votre album, il y a une chanson, Le Havre, très mélancolique.

Le Havre est une ville qui représente le commencement et la fin. Son architecture est particulière. Il y a quelque chose de fort et d’irréel. Le Havre est un endroit très étrange et procure beaucoup de fantasmes.

Infos pratiques

  • Mardi 23 novembre à 20 heures au Tetris au Havre
  • Tarifs : de 26 à 19 €
  • Réservation au 02 35 19 00 38 ou sur www.letetris.fr
  • photo : Chloé Nicosia