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Philippe Torreton : « cette candidature doit permettre l’écriture d’une philosophie culturelle future »

photo : Alan Aubry - Métropole Rouen Normandie

Comédien exigeant, physique et généreux, au théâtre, au cinéma et à la télévision, Philippe Torreton s’empare autant de textes classiques que contemporains. Il a récemment été un magnifique Galilée. Il va retrouver l’écriture de Fabrice Melquiot avec Lazzi, un duo formé avec Vincent Garanger. Homme engagé, il est de plusieurs combats. Il est un des parrains de Rouen Seine Normandie 2028 qui porte la candidature de la ville pour devenir capitale européenne de la culture. Entretien.

Que peut offrir à une ville comme Rouen une telle candidature ?

C’est l’occasion de lancer des grands projets, de réfléchir à ce qui peut être associé à Rouen au niveau culturel, mais pas seulement. Le domaine culturel n’est pas une zone étanche. Tous les acteurs peuvent être intégrés. La culture peut parler de l’industrie. L’essentiel est de se demander comme va résonner ce territoire dans les années à venir. Je passe ma vie sur les routes et je vois bien les villes où l’activité culturelle est importante. On ne finira jamais de vanter l’énergie culturelle. C’est une activité ruisselante qui doit occuper tout le monde. Cela va de pair avec l’économie, le social… La culture est synonyme de bien-être. Elle a ce rôle.

Quel parrain souhaitez-vous être ?

Pour l’instant, je ne sais pas trop à quelle sauce on va me croquer. Je le verrai dans les mois à venir. Je suis très honoré que ma ville pense à moi.

Est-ce que cela participe au développement des droits culturels ?

Ce serait tellement bien si je pouvais intervenir sur cette partie. Depuis deux ans, je mène des ateliers dans des classes de CM2. Je dis aux enfants : si vous voulez continuer à faire du théâtre, nous avez le droit de le demander. Le premier des droits culturels, c’est l’accessibilité. Et c’est un travail sans fin. Nous ne pouvons pas rester entre nous. C’est pourtant dramatiquement le cas. Il faut développer la culture de proximité. Nous devrions avoir tous une salle à un quart d’heure de chez nous. Ma grand-mère m’a raconté qu’il y avait un théâtre à Beuzeville dans l’Eure quand elle était jeune fille. Il a été transformé en cinéma, puis en maison de retraite. Il faut revenir à cela, à cette proximité pour ne pas avoir besoin de faire 50 kilomètres pour aller voir une pièce de théâtre. Il faut aussi jouer plus longtemps dans les lieux, oser la durée. Pourquoi pas pendant un mois ? Le temps que l’information circule et que les artistes se familiarisent avec la ville. De toute façon, on n’en fera jamais assez pour la culture.

Est-ce que l’économie du spectacle vivant permet cette durée ?

On a privilégié la création plutôt que la diffusion. Les directions de CDN ont cette mission de turnover des spectacles. On devrait un peu réduire la voilure de la création pour augmenter l’exploitation des spectacles.

Vous souleviez la question géographique. Est-ce le seul obstacle ?

Non, bien sûr. Quand j’ai été engagé à la Comédie-Française, j’ai invité ma mère. Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait venir parce qu’elle n’avait pas de robe. Elle pensait qu’il fallait sortir avec les colliers de perles. Aller dans un théâtre, ce n’est certes pas simple mais pas si compliqué. Il faut savoir que l’on veut faire d’un lieu et comment on le fait vivre. Il devrait un endroit où on peut y entrer tous les jours pour aussi y boire un café, faire ses devoirs, brancher son ordinateur, s’y mettre au frais quand il fait chaud et s’y mettre au chaud quand il fait froid. Pourquoi pas y acheter des livres ? Il y a plein de choses à imaginer. Cette question me touche beaucoup. Est-ce que j’ai le droit ? Est-ce que le théâtre est fait pour moi ? C’est le combat de ma vie. Cela a un lien avec le choix des pièces, la façon de jouer. Je veux que tout le monde me comprenne et m’entende. Si une personne ressort d’un théâtre et n’a rien compris, c’est que l’on s’est trompé.

À quel moment ces questions se sont-elles imposées à vous ?

Un comédien doit être un pédagogue. Je passe toujours beaucoup de temps avec un texte. Je dois parce que je le donne à entendre. Je prête de moins en moins d’attention à la notion de personnage. Je me fous de porter un chapeau ou une moustache, de jouer Cyrano en jogging et en basket. Tout dépend de ce que l’on dit. Le texte, avant tout ! 

Cette saison, le public n’est pas revenu aussi nombreux. 

Toute la profession a souffert. Il y a eu une réticence. Quand on brise un tel lien, cela risque d’être long à renouer. Je suis optimiste. Le public va revenir. Le théâtre, c’est l’unicité. C’est ce soir et maintenant et cela ne sera plus jamais. À nous d’être malins pour faire passer ce message. Il faut éviter l’entre-soi. Pour cela, il faut commencer très tôt à aller au théâtre.

Les enfants ont été aussi privés de sorties culturelles.

Je comprends les mesures sanitaires. Je n’aurais pas aimer être président de la République. Éviter les masses, je peux l’entendre mais ne pouvions-nous pas inviter les personnes qui ne viennent jamais ? Avec des masques et en respectant les distanciations, bien sûr. J’aurais aimé jouer devant 30 personnes qui ne sont jamais allées au théâtre. J’ai vraiment regretté cela. Ce n’était pas faire une grosse fête mais un dîner en tête-à-tête. C’est comme si un cœur avait arrêté de battre. J’ai été empêché dans mon travail. C’est même plus qu’un travail. C’est une mission. Je me sens animé par une mission de faire entendre et comprendre un texte. Cette candidature doit permettre l’écriture d’une philosophie culturelle future pour savoir avec quoi veut-on que rime Rouen.