Les rencontres sont déterminantes dans le travail de création de Lorraine de Sagazan. Elles deviennent les points de départ d’une écriture. Comme dans Un Sacre. Pour La Vie invisible, ce sont les échanges avec Thierry Sabatier, un homme devenu malvoyant après un accident. Une matière pour Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix qui se promènent dans les méandres de sa mémoire. Sur scène, Thierry Sabatier donne des indices à Chloé Olivères et Romain Cottard afin qu’ils reconstituent une scène de théâtre inoubliable pour lui. La Vie invisible est présentée du 25 au 28 janvier au CDN de Normandie-Rouen. Entretien avec l’autrice et metteuse en scène.
Pourquoi fondez-vous désormais votre travail sur des rencontres ?
J’ai travaillé sur des adaptations de grands textes. J’ai voulu faire un pas de côté pour interroger la fiction, une sorte de simulacre vrai, où nous sommes cantonnés à faire semblant. Je me suis demandée pourquoi on racontait des histoires. J’ai eu une crise de la fiction. Est-elle une fin ou un moyen pour répondre à une béance contenue dans une histoire vraie ? Pendant la crise sanitaire, j’ai voulu rencontrer autant de personnes que de jours de confinement. Ces rencontres ont donné naissance à un cycle sur la réparation. La Vie invisible est le premier volet. Un Sacre en est le deuxième. Le prochain portera sur la justice.
Qu’est-ce qui fait théâtre ?
Ce sont des phases longues. Je ne veux pas enfermer la rencontre mais la penser comme un espace à investir. Au fur et à mesure des rencontres, arrivent des discussions plus franches, des problématiques, des bouleversements. Thierry a été une évidence. Il nous a bouleversés. Quand on multiplie les rencontres, une enquête se met en place. Sont arrivées les questions de perception, de sens, de mémoire. L’écriture a été un aller et retour.
Pourquoi Thierry Sabatier vous a émue ?
Lors de n’importe quelle rencontre, il y a des affinités qui se révèlent. Nous étions avec un groupe de spectateurs qui parlaient de leur rapport aux œuvres. Thierry a parlé de ses souvenirs. Le plus souvent, peu de personnes se livrent sur des questions intimes. Avec lui, il y a eu une inhibition plus forte. Il nous racontait ses moments de théâtre où quelqu’un lui murmurait à l’oreille ce qui se passait sur scène. Nous avons plongé dans la reconstitution de souvenirs d’un spectateur. En fait, Thierry a ouvert ce champ de la mémoire et de la perception. Et il a fini par nous raconter des pans de sa vie. Ce fut un chemin imprévu, inédit. Ce spectacle n’est pas 100 % de son histoire parce qu’il nous a raconté ce qu’il a bien voulu nous raconter. Comme tout le monde lorsque l’on veut créer un récit.
Quel est le souvenir le plus fort ?
Thierry n’allait pas tout seul au théâtre mais avec sa mère. C’était un rituel parce qu’elle aimait ça. C’est elle qui lui soufflait à l’oreille. Un jour, il a ressenti une émotion forte. Il y a eu un entremêlement entre sa vie et l’œuvre. En fait, on comprend une œuvre parce qu’elle est une plongée dans notre mémoire perceptible.
Comment avez-vous imaginé cette pièce ?
Comme une enquête. Comme sa mère, Thierry donne des indications à Chloé et Romain afin qu’ils jouent cette scène de manière la plus juste possible. Il les dirige en direct. Il arrive même que les informations ne semblent plus correspondre. Ce que jouent les acteurs devient autre chose qu’un seul souvenir. On reconfigure ce que l’on pense voir. La question de la vérité devient alors centrale. Lors du travail, j’ai rencontré un anthropologue qui a fait un parallèle entre nos métiers. Il disait : nous partons à la rencontre. Nous questionnons. Lui s’arrête aux faits. Le théâtre peut poursuivre les faits et s’approcher, selon lui, d’une vérité plus profonde. Chaque soir est une expérience, une expérience de vie, de perception pour apprendre à voir autrement.
Infos pratiques
- Mercredi 25, jeudi 26 et vendredi 27 janvier à 20 heures, samedi 28 janvier à 18 heures au théâtre des Deux-Rives à Rouen
- Durée : 1 heure
- Tarifs : 15 €, 10 €
- Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
- Aller au spectacle avec le réseau Astuce