Wax Tailor : « je fais la gloire de la lenteur »

photo : Ronan Siri

Wax Tailor aime marier les ambiances, les émotions, les périodes, les genres… C’est ce qui fait tout l’univers singulier de l’artiste normand. Pour composer Fishing For Accidents, le nouvel album sorti vendredi 10 février, Wax Tailor a exploré de multiples sonorités, les unes, rétro, les autres, plus modernes. Il n’a pas hésité à aller à la « pêche aux accidents ». Si The Shadows Of Their Suns, publié en 2019, a été un disque plus sombre pour parler des dérives du monde, Fishing For Accidents se révèle plus radieux avec, comme dans tous les albums de Wax Tailor, quelques ombres mélancoliques. Les références cinématographiques sont toujours aussi évidentes. D’ailleurs, Wax Tailor s’est inspiré d’une citation d’Orson Wellles sur l’importance des accidents dans le processus de création, le fil rouge des douze titres. Fishing For Accidents est la bande son d’un artisan du trip-hop qui cherche en toute liberté, capte des instants et crée des espaces colorés et contemplatifs. Entretien avec Wax Tailor, pour la sortie de ce bel album, au 106 à Rouen où il revient en concert le 13 mai après une tournée aux États-Unis.

Cet album est-il une suite d’accidents ?

Oui, ce furent des accidents qui ont jalonné le travail. J’avais ce titre en tête. Je ne suis pas capable de penser un disque si je n’ai pas de titre. Il donne un fil conducteur. J’ai volé à Orson Welles une phrase qui est pleine de sens. Quand je suis en studio pour composer, l’accident est toujours présent. Cela a été l’objet de plusieurs discussions. Certaines personnes me disent : si c’est un accident, ce n’est pas toi qui composes. Si, parce que l’on peut être confronté à 25 accidents et on en retient un. Au cinéma, il y a des scènes mythiques qui ne sont pas écrites dans le script. Dont le célèbre You talkin’ to me de Robert de Niro dans Taxi Driver de Martin Scorsese. En tant que metteur en scène ou metteur en son, il faut savoir capter ces moments. Quand je travaille, je fabrique mes instruments, je chope des sonorités. Une cellule sur un vinyle, c’est un accident. Je la capture et je ne sais pas ce qui va se passer après.

Faut-il attendre ou provoquer un accident ?

Les deux. Il faut passer du temps pour cela. Travailler, c’est provoquer l’accident. Il faut donc savoir attendre. Il est possible de composer un morceau en une heure. Mais comment est-il ? Ah, pas terrible ! Je peux aussi passer des journées dans le studio autour d’un morceau que je n’enregistre pas au final. Il est pas mal mais pas terrible non plus. C’est hyper frustrant parce que je l’ai ruminé.

Faut-il alors travailler à l’instinct ?

Oui, aussi. Pendant les balances, avant un concert, on attend beaucoup. Il y a le guitariste qui joue tout seul dans son coin. Dans ce qu’il est en train de jouer, j’ai la prétention de savoir, avant lui, que c’est bien. C’est un truc de directeur artistique. Oui, il y a une part d’instinct. Comme une présence fantomatique qui capte le meilleur de chacun.

À quel moment faut-il prendre du recul sur le travail de composition ?

Le recul est nécessaire. C’est ce qui fait que l’on y passe beaucoup de temps. Je suis un laborieux et je fais la gloire de la lenteur. Je fais de nouveau un parallèle avec le cinéma. Un réalisateur peut prendre quinze prises d’une scène pour retenir la deuxième. C’est parce qu’il a tourné cette scène quinze fois qu’il a su que la deuxième était la meilleure. Je passe du temps à me questionner pour parfois revenir à ce que j’ai fait deux mois avant. Il m’arrive aussi de ressortir des démos vieilles de quinze ans. Au gimmick que j’avais dans la tête, j’y ajoute un élément et le tout prend une autre tournure. Je me perçois comme un plasticien. Je ne suis pas un grand instrumentiste. C’est une faiblesse et une force. Je passe ainsi mon temps à affiner les choses. J’écoute, j’arrête, je pars ailleurs pour me laver les oreilles. J’essaie de tout visualiser. Je travaille sur tous les titres en même temps. Quand ils s’emboîtent, je trouve un fil.

Vous parlez beaucoup de cinéma et ce n’est pas la première fois. Est-ce que cet album n’est pas davantage la bande son d’un moment ?

Je me suis laissé plus de liberté musicale. The Shadows Of Their Suns a été un album très cathartique. J’avais besoin de vider mon sac pour dire : voilà où on en est et ce que je ressens aujourd’hui. Pour cet album, je n’étais pas dans la même lourdeur et la même émotion. Le moteur a été la musique et j’ai été biberonné aux musiques de films. J’ai aussi écouté mes humeurs. 

Avez-vous travaillé comme un artisan, le titre qui ouvre cet album ?

C’est plus important que tout le reste. Je suis en effet un peu artisan. J’en suis fier et je le revendique. Ce mois-ci, cela fait vingt-cinq ans que le label existe. Pendant ces années, j’ai composé et collé des affiches, envoyé des courriers… Je veux pouvoir assumer tout. Alors j’ai besoin de me sentir artisan. 25 ans, ça fait bizarre.

Pourquoi ?

C’est très étrange. Il y a une petite nostalgie même si je ne suis pas passéiste.

D’où ce titre, That Good Old Tomorrow ?

Je regarde devant avec un œil dans le rétro pour regarder comment j’en suis arrivé là. On ne peut pas construire quelque chose sans avoir un regard sur ce qui a été fait les dernières années. C’est un amalgame de tout cela.

Comment déclinez-vous cet album sur scène ?

Il n’y a pas eu de tournée avec l’album précédent. Je vois davantage le parcours d’un artiste, quelque chose de transversal. J’ai pioché dans tous les albums pour raconter une histoire.

Infos pratiques

  • Samedi 13 mai à 20 heures au 106 à Rouen
  • Première partie : Mounika
  • Tarifs : de 28,50 à 19,50 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com