Clément Hervieu-Léger : « Tourgueniev accepte de regarder l’amour comme un symptôme »

photo : Compagnie des Petits Champs

Dans Un Mois à la campagne, Tourgueniev peint un monde rural russe las où chaque personnage, à la personnalité complexe, va bouleverser par ses actes une apparente sérénité. Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie-Française, met en scène cette pièce pour sa Compagnie des Petits Champs qui sera mardi 21 mars au Forum à Flers avec la scène nationale 61 et jeudi 6 avril au théâtre de l’Arsenal à Val-de-Reuil. Entretien.

En quoi cette pièce de Tourgueniev garde une modernité ?

Tourgueniev parle du couple, de la condition de la femme. Il écrit cette pièce au milieu du XIXe siècle et tient un propos sidérant de modernité. Un homme, Arkady, domine le couple et impose à son épouse une forme de soumission. Natalia se retrouve confrontée à ses envies, ses difficultés à être elle-même. Elle vit dans un grand domaine agricole mais se considère à l’étroit dans sa vie. Quand arrive Alexeï, tout se fissure. Comment alors va-t-elle faire face à ses désirs ? Tout comme Véra qui devient une femme. À cette époque-là, en France, on joue Musset, Hugo… et on n’est pas du tout dans la même modernité.

L’histoire de cette pièce rappelle l’univers de Tchekhov.

Oui, il y a quelque chose de très tchekhovien dans Un Mois à la campagne. Tourgueniev a ouvert une voie à un genre de théâtre. C’est un théâtre du quotidien qui parle de nous. On oublie souvent que Tourgueniev a écrit cette pièce cinquante ans avant La Cerisaie. Et lui mène un combat pour la fin du servage. Cette question du transfuge de classe est aussi toujours en cours aujourd’hui.  C’est le cas d’Alexeï qui arrive dans un milieu qui n’est pas le sien. Il n’a pas les codes.

Comme dans La Cerisaie, Un Mois à la campagne parle d’un prochain changement.

Il nous parle de la fin d’un monde. Tchekhov écrit quand le servage est aboli. Pas Tourgeniev. Il est dans un carcan. Il est vrai que l’on rapproche souvent ces deux auteurs. Peut-être parce qu’ils nous parlent tant, qu’ils racontent la fin d’une époque et se demandent comment reconstruire. Ils ont également ce regard commun, un regard médical sur la société. D’ailleurs, au début de la pièce, le médecin prend le pouls de Véra qui bat trop faiblement. À la fin, il effectue le même examen. Cette fois, il va plus vite. Ce début et cette fin sont magnifiques. C’est comme s’il écrivait au rythme du cœur de ces deux femmes. Tourgueniev accepte ainsi de regarder l’amour comme un symptôme.

Est-ce le sentiment amoureux qui domine dans cette pièce ?

On ne parle quasiment que de cela. Tourgueniev en donne une sorte d’éventail. Il se demande où est le sentiment amoureux dans un couple, comment on peut s’abandonner à un amour platonique. Arkady aime sa femme. Il le dit : sans Natalia, je ne serais rien. Les personnages sont très complexes. C’est ce qui fait la force de cette pièce. On peut se retrouver dans un personnage ou se reconnaître par petits bouts dans tous.

Pourquoi avez-vous choisi la traduction de Michel Vinaver ?

Je trouve cette traduction magnifique. Une pièce écrite par un auteur qui a une grande connaissance des acteurs a une saveur particulière. Michel Vinaver dépoussière tout en respectant les choses les plus fines. Natalia et Rakitine ont une manière mondaine de parler alors qu’elle est plus rustre chez Alexeï et Arkady. Il donne ainsi aux comédiens les moyens de jouer cette subtilité. Cela se sent plus que ça s’entend.

Dans Un Mois à la campagne, vous installez une longue table comme dans Une Des Dernières Soirées de carnaval de Goldoni. Pourquoi ?

Je ne voulais pas un décor lourd. Il y a aussi un parquet, comme un praticable. Tout s’organise autour de cette grande table avec des artistes qui étaient là dans Une Des Dernières Soirées de carnaval. J’aime le théâtre de troupe. Après ce que nous venons de traverser, j’avais envie de faire du théâtre avec du monde sur scène et de proposer un grand texte.

Une famille décomposée

Ivan Tourgueniev (1818-1883), auteur russe, écrit cette pièce Un Mois à la campagne entre 1847 et 1850 en France. La mélancolie a envahi la maison d’Arkady et de Natalia. L’arrivée d’Alexeï, un précepteur engagé pour veiller sur Kolia, va perturber le cours de la vie. Natalia et Véra, l’orpheline accueillie dans la famille, ne seront pas insensibles au charme du jeune homme. La première ne séduit plus son mari et n’est plus attirée par son amant, Rakitine. Les domestiques, le médecin et le voisin viendront eux aussi rompre la monotonie. Durant ce Mois à la campagne, les amours feront des allers et retours.

Infos pratiques

  • Mardi 21 mars à 20 heures au Forum à Flers. Tarifs : de 20 à 6,50 €. Réservation au 02 33 29 16 96 ou sur www.scenenationale61.fr
  • Jeudi 6 avril à 20 heures au théâtre de l’Arsenal à Val-de-Reuil. Tarifs : de 25 à 10 €. Réservation au 02 32 40 70 40 ou sur www.theatredelarsenal.fr
  • Durée : 2 heures