Dakh Daughters : « l’amour est toujours là dans nos cœurs »

photo : Oleksandr Kosmach

Elles sont des femmes admirables avec de fortes personnalités. Fondées au Dakh Theatre de Vlad Troiskyi à Kyiv, les Dakh Daughters sont des musiciennes, des chanteuses et comédiennes à l’énergie punk. Elles ont enflammé la place Maïdan lors de la révolte en 2014 avec leur  titre explosif, Rozy Donbass. Elles ont ébloui avec leur Cabaret Freak et Ukraine Fire. Suite à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe en février 2022, le groupe est arrivé au Préau, CDN de Vire. Accueillies par la directrice Lucie Berelowitsch, les Dakh Daughters ont décidé de mener une autre révolte avec leur musique et leur théâtre. Il y a eu une volonté urgente de chanter et jouer pour témoigner et résister. Mis en scène par Vlad Troiskyi, Dance Macabre raconte l’exil, la souffrance, l’horreur de la guerre au rythme d’un rock baroque. Les Dakh Daughters sont jusqu’au 2 avril au théâtre du Soleil à Paris, plus tard vendredi 15 septembre au théâtre de La Foudre à Petit-Quevilly. Entretien avec Tetiana Troiska, Anna Nikitina et Ruslana Khazipova.

Quand vous êtes arrivées en France, à Vire, il a été important pour vous de monter très rapidement sur scène pour créer. Pourquoi

Tetiana Troiska : nous avons eu la chance de poursuivre notre démarche artistique, ici, en France. Dès notre arrivée, notre volonté a été de créer un nouveau projet sur ce qu’il se passe en Ukraine aujourd’hui. C’était en effet très important pour nous d’entamer ce travail qui s’adresse à l’Europe et au monde entier.

Pourquoi vous sentez-vous plus utiles en France qu’en Ukraine ?

Tetiana Troiska : Parce qu’en Ukraine tout le monde sait déjà ce qu’il se passe. Ici, en France, ce n’est pas aussi clair pour tous les habitants, il reste beaucoup de zones d’ombres. C’est pourquoi nous sommes là, pas seulement pour représenter l’Ukraine mais aussi pour faire prendre conscience aux gens et ne pas oublier. Cela fait déjà plus d’un an que la guerre dure, tout le monde en a marre de cette situation. Chacun a ses problèmes. Nous le voyons bien en France en ce moment. Mais pour nous, cela reste toujours très important de parler aux gens de notre situation.

Ruslana Khazipova : Quand on nous demande : comment peut-on vous aider  ? Nous répondons toujours la même chose, vous pouvez faire des dons à l’armée ukrainienne. Cela contribuera à notre victoire et cela nous permettra de nous redonner notre liberté, et un meilleur avenir.

Quelles étaient vos envies pour ce nouveau spectacle, Danse macabre ?

Tetiana Troiska : Nous avions ce spectacle en tête il y a un peu plus d’un an, juste avant la grande invasion. Nous avions d’ailleurs parlé de ce projet très tôt à notre directeur. L’idée du projet est la compréhension de la mort, une question très profonde pour nous. Nos interrogations étaient celles-ci. Comment les gens « vivent » la mort ? Comment comprendre la fin de vie ? Au début, c’était vraiment philosophique, mais après le 24 février 2022, nous nous sommes rendu compte de la réalité de ce que nous parlions. Et nous avons changé beaucoup de textes, créé de nouvelles musiques et de nouveaux monologues. Danse macabre est notre réflexion sur la situation de notre pays. 

Est-ce une pièce documentaire ?

Tetiana Troiska : Non, c’est un mix. C’est en effet documentaire avec des témoignages d’Ukrainiens et notre vécu. Il y aussi de l’art dans cette pièce. C’est très important pour nous de mélanger les deux. Nous y ajoutons de vieux textes de la Bible, des travaux de poètes ukrainiens qui ont vécu il y a cent ans par exemple.

Pourquoi la Bible ?

Ruslana Khazipova : Ce n’est pas vraiment la Bible en elle-même mais le Livre de Job. Cela représente bien ce qu’il se passe en Ukraine. Comment être une personne ? Comment rester humain quand vous perdez tout ? Un proche décède, vous perdez votre maison, tous ces malheurs … Comment vivre après ces situations et continuer à garder espoir, à croire en quelque chose. Pour notre directeur, c’est un livre très important. Par exemple, des mois auparavant, il avait fait un opéra avec ce texte. Pas avec nous mais avec d’autres acteurs en Ukraine. Ils ont travaillé avec ce texte qui le touche profondément. C’est important pour lui. À travers ce texte, nous comprenons notre situation en Ukraine.

Danse Macabre parle de la guerre en Ukraine. En France, nous sommes informés par les différents médias. Quel angle nous manque ?

Anna Nikitina : Ces sources-là sont moins émotionnelles. Sur ces médias vous entendez parler de la Syrie, de l’Afrique et de l’Ukraine. Cela ne fait rien ressentir. Quand vous allez voir un spectacle, vous êtes prêts à regarder, à écouter et à ressentir ce qu’il se passe. C’est très puissant de transmettre l’information de cœur à cœur. 

Ruslana Khazipova : Pour nous c’est très important que davantage d’informations soient diffusées car la propagande russe circule dans notre pays. Notre œuvre doit exister pour laisser une trace.

Votre maquillage vous aide-t-il à parler de la guerre ?

Tetiana Troiska : C’est notre carte de visite. Nous avons toujours voulu soigner notre apparence. C’est aussi une possibilité de porter un masque. Nous pouvons interpréter des styles, des personnages et des émotions différentes. Le maquillage évolue dans la pièce. Il est d’abord joyeux puis, après les sirènes, il change et laisse place à ce que nous sommes.

Avez-vous toujours des rêves aujourd’hui ?

Oui bien-sûr ! Des rêves de victoire, d’hommes et de femmes. Il faut rester humain durant ces temps difficiles. Nous partageons l’amour, pas la haine. L’amour est toujours là dans nos cœurs.

traduction : Maël Rabiant

Infos pratiques

  • Vendredi 24 et samedi 25 mars à 20h30, dimanche 26 mars à 14h30, mercredi 29, jeudi 30 et vendredi 31 mars à 20h30, samedi 1er avril à 20h30 et dimanche 2 avril à 14h30 au théâtre du Soleil à Paris. Tarifs : de 25 à 15 €. Réservation au 01 43 74 24 08 ou sur www.theatre-du-soleil.fr
  • Vendredi 15 septembre à 20 heures au théâtre de La Foudre à Petit-Quevilly. Tarifs : de 30 à 1 €. Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr