Camel Zekri : « le style est une sorte d’acceptation de soi »

photo : W. Vainqueur

Le rock, le reggae, le jazz, le classique et les musiques traditionnelles… Camel Zekri sait tout jouer. Immense guitariste et compositeur, il sera mercredi 12 avril au Volcan au Havre pour l’ouverture du festival Musique Musiques. Directeur d’Athénor, centre national de création musicale à Saint-Nazaire, il rendra un hommage à son grand-père, Hamma Moussa, qui a dirigé entre 1950 et 1995 le Diwan de Biskra. Tel un ethnomusicologue, il a enregistré les musiques gnawa pour préserver ce patrimoine oral. Dans ce nouveau projet, il s’en inspire pour créer un répertoire entre jazz et musiques traditionnelles. Entretien avec Camel Zekri.

Ce concert est un hommage à votre grand-père. Est-ce lui qui vous a donné envie de jouer de la guitare ?

Il ne m’a pas donné envie de jouer de la guitare; Il m’a donné envie de jouer de la musique. Il n’y avait pas de guitare mais des percussions. Mon grand-père n’était pas seulement un musicien mais un porteur de traditions qu’il a transmises à ses enfants et ses petits-enfants. La guitare est venue d’un métissage culturel. Mes parents ont choisi la France où je suis né. Là, j’ai écouté du rock, du reggae, de la musique classique et antillaise… Des musiques dans lesquelles la guitare était très présente.

La guitare s’est alors imposée.

J’ai commencé comme autodidacte en apprenant les airs que j’écoutais. Je rejouais les accords. À un moment, j’ai voulu aller plus loin. J’étais passionné par le jazz. Or les écoles de jazz sont chères. Alors je suis allé au conservatoire où j’ai appris la guitare classique. Je continuais toujours à aller au concert, à acheter des disques, à essayer de jouer du jazz et dans divers groupes. J’avais des vies parallèles. Ce qui m’a permis de trouver un style de jeu et une technique bien à moi.

Quelle définition donneriez-vous au style ?

Le style est une sorte d’acceptation de soi, de son corps. Il arrive que l’on aime des musiques mais on n’arrive pas à bien les jouer. J’ai alors trouvé mon style en fonction de mon corps. Dans cette affirmation, j’ai beaucoup travaillé cette technique. C’est ma marque de jeu nourrie de musiques traditionnelles et contemporaines et de jazz. J’ai dû réadapter ma relation au clavier de ma guitare, aux cordes et à la façon de produire du son. Ma spécialité est l’utilisation de cordes en nylon qui offrent un autre son. Tout cela a forgé ma personnalité.

À quel moment vous êtes-vous intéressé aux musiques traditionnelles ?

Cette relation aux musiques traditionnelles est arrivée sur le tard. Dans les années 1990, une période où la situation était difficile en Algérie, j’ai souhaité sauvegarder le patrimoine musical de ma ville, Biskra. Ensuite, j’ai voulu faire connaître ces musiques gnawa qui ont été entendues à Radio France et à l’institut du monde arabe. J’ai réuni ma famille dans un ensemble. À un moment où ma trajectoire musicale n’allait pas du tout dans cette direction, les événements sociaux et politiques se sont mêlés de ma pratique musicale. Ce sont des musiques que je connais bien. De ma naissance jusqu’à mes 18 ans, je passais tous les étés en Algérie et j’écoutais mon grand-père. Il y avait beaucoup de musiques là-bas. Je vivais en fait dans deux mondes qui se sont rejoints à un moment.

Vous disiez que votre grand-père n’était pas seulement musicien. Que vous a-t-il aussi appris ?

C’est une personne que j’admire. Il avait beaucoup de respect au monde et aux choses qui se trouvaient autour de lui. Il était la générosité, une humanité. Si, moi, je les porte, c’est grâce à lui. Il ne m’a pas obligatoirement appris la musique mais surtout un état d’esprit. Si on a la chance d’être porteur de quelque chose alors notre mission est de la nourrir et de la transmettre. C’est grâce à toutes les actions de telles personnes que les musiques ont pu traverser les siècles. En fait, ce sont des valeurs.

Votre musique transparaît à travers ces valeurs.

Quand j’ai commencé à jouer de la musique, ce que je sortais de moi-même était toutes ces choses que mon grand-père m’a transmises. C’est un geste musical. Et ce geste est une signature à travers une pratique, une écriture, une composition, des mélodies, des rythmes, des sonorités…

Quelle place tient l’improvisation ?

Il y a la musique écrite et des improvisations qui sont en moi. Cela va au-delà de la maîtrise de l’instrument. C’est un produit de mon corps.

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Coplateau avec Dhafer Youssef