Pierre Martot réalise son rêve en jouant seul sur scène. Il a adapté à la scène Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, publié en 1942. L’auteur y parle autant de l’absurdité de la condition humaine et du monde que de la rage de vivre et la défense de la liberté. Le comédien sera jeudi 5 octobre au théâtre du Château à Eu dans le cadre du festival Terres de paroles. Entretien.
Vous avez très certainement lu Le Mythe de Sisyphe de Camus il y a plusieurs années. Pourquoi y revenez-vous aujourd’hui ?
J’ai lu pour la première fois ce livre, j’avais 30 ans. Je venais d’être papa. J’étais dans un élan de vie. Depuis trente ans, je veux jouer un texte tout seul sur scène. C’était mon rêve. J’y avais presque renoncé parce que je ne le trouvais. Un matin, je pars pour un tournage. Comme toujours, j’emporte avec moi plusieurs livres. Dans mes choix, il y avait Le Mythe de Sisyphe de Camus. Lors de la relecture, je me suis dit : c’est l’histoire que tu cherches ! C’est le livre dont je partage à 100 % les enjeux : le sens de l’existence. C’est le sujet le plus important. D’autant plus dans une période où il n’y a plus de place pour la recherche du sens. Nous sommes davantage dans une recherche de rentabilité. Il faut donc faire entendre la parole de Camus, posée et ouverte.
Comment qualifieriez-vous ce livre ?
C’est une profession de foi. Camus dit : voilà comment je vois la vie. L’absurde ne débouche pas sur une résignation mais est un point d’appui sur lequel repose la liberté de chacun de construire sa propre vie. Pour lui, la vie n’a pas de sens alors il faut essayer de la vivre la plus puissamment possible. Il y a un côté fureur de vivre. N’oublions pas que Camus est un homme engagé.
Il écrit aussi ce livre en 1942, au milieu de la Seconde Guerre mondiale.
Il y a tout un chapitre dans lequel il appelle à la conquête. Il y a là les germes de L’Homme révolté. Il faut s’engager pour défendre la condition humaine.
Comment définiriez-vous l’écriture de Camus dans Le Mythe de Sisyphe ?
On sent dans son écriture une culture pour le théâtre. Ce texte n’a d’ailleurs jamais été mis en scène. Camus a une langue théâtrale. Il y a des enjeux de vie et de mort. Comme dans une tragédie. Sa langue est aussi dynamique, basée sur son expérience sensible et personnelle. À 17 ans, il apprend quand même qu’il a une tuberculose. Cette absurdité lui a sauté en plein visage.
Comment avez-vous appréhendé ce texte ?
Je me suis fixé trois objectifs. Il fallait que le texte soit compréhensible. Parfois, Camus emploie des mots et des noms compliqués. J’ai donc fait des détours dans sa pensée. Je devais aussi garder l’essence et les enjeux du texte. Enfin, le spectacle ne devait pas dépasser une heure et quinze minutes. J’ai écrit une adaptation avec ces trois contraintes-là. Mais je n’ai rien inventé. Ce sont les mots et la langue de Camus. C’est un travail qui m’a demandé huit mois avec des moments où j’ai laissé décanter.
Comment portez-vous sur scène cette langue et cette pensée en mouvement ?
Ce texte ne supporte pas l’immobilité. Alors le personnage marche beaucoup. C’est la langue d’un jeune homme de 23 ans. Lors de mon travail d’adaptation, j’avais en tête l’image d’un penseur qui marche, s’arrête et fait des détours. Je suis parti de mes propres sensations, de ma propre colère. Je les mets au service du texte de Camus.
Vous avez désormais réalisé votre rêve : jouer seul sur scène. Que retenez-vous de cette expérience ?
Quand on est acteur, nous passons notre temps à obéir. Avec ce spectacle, je n’obéis qu’à moi-même et à la langue de Camus. Je ressens un grand sentiment de liberté.
Infos pratiques
- Jeudi 5 octobre à 20 heures au théâtre du Château à Eu
- Durée : 1h10
- Tarifs : de 17 à 10 €
- Réservation au 02 35 50 20 97 ou sur wwwtheatreduchateau.fr
- Des places sont à gagner