Thomas Jolly : La forme olympique

C’est un premier échange entre Pop-Up Rouen, nouveau magazine culture et lifestyle, et Relikto. La publication de l’interview de Thomas Jolly, parue dans le premier numéro, soudent des liens évidents entre les deux médias. Dès septembre 2024, Pop-Up Rouen invite Relikto dans certaines pages.

Depuis 2023 et sa mise en scène de Starmania, le rouennais Thomas Jolly est sous le feu des projecteurs. Et ce n’est rien comparé à la visibilité que va lui offrir la cérémonie d’ouverture des J.O. de Paris 2024, dont il est le directeur artistique. Le nombre de spectateurs, partout dans le monde, dépassera le milliard.

Thomas, en 2022 on t’a confié la direction artistique de la cérémonie d’ouverture de Paris 2024. Nous sommes à trois mois de cette cérémonie, quel est ton état d’esprit ? La pression doit monter…

Pas tant que ça en vérité, j’en suis même surpris ! C’est pas pour fanfaronner, mais il y a tellement de travail chaque jour que je n’ai pas le temps de mesurer la pression. C’est une aventure toujours aussi exaltante, unique. Je ne vais pas te dire que je ne suis pas fatigué, mais je ne suis pas inquiet.

Il y a quand même une forme d’anxiété par rapport à ces J.O, à savoir si Paris sera prête. Cette cérémonie a l’ambition particulière de se dérouler hors du stade, les informations filtrent au compte-goutte, qu’as-tu le droit de nous en dire ?

En réalité, je trouve qu’on en sait déjà beaucoup contrairement à une cérémonie qui se passerait dans un stade, à l’abri des regards. Effectivement, on sait que pour la première fois des jeux olympiques modernes, ça se passera sur la Seine, que les délégations d’athlètes défileront sur des bateaux, sur un parcours qui se finira au Trocadéro, et que j’en suis le directeur artistique ! Que dire encore, que les athlètes vont traverser des stations artistiques qui s’animeront sur leur passage, comme si Paris se réveillait, se mettait en fête à la vue des athlètes. On en sait déjà pas mal, non ?!

On s’y croirait déjà ! Combien de personnes constituent l’organisation ?

Dans l’équipe qui s’occupe des cérémonies, il y a plus de 250 personnes. Plus les agences avec lesquelles on travaille, et bien sûr tous les interprètes et artistes. Entre 1000 et 2000 artistes vont performer ce soir-là.

Est-ce que la décision d’accepter a été évidente ? Et quelle est ta légitimité dans cette mission ?

Pour être honnête, j’ai été surpris et heureux qu’on vienne me demander. Quelqu’un comme moi qui vient du théâtre, qui n’est pas parisien, j’ai trouvé ça étonnant. J’aurais pu penser qu’on fasse appel à un réalisateur ou une réalisatrice de cinéma, un(e) chorégraphe, dont le travail est plus universel au sens où ils dépassent plus les frontières que le théâtre. Est-ce que ça a été évident pour moi, au départ ? Passée la surprise, j’ai très vite été raccord avec cette façon alternative de vouloir réinventer ces jeux, de réutiliser des sites existants, dans un souci de parité et d’écoresponsabilité. 

Et puis la jauge est inhabituelle pour quelqu’un du théâtre… 

Oui, c’est ce qui a fini de me convaincre, quand j’ai compris que la cérémonie d’ouverture olympique synchronisait quasiment un quart de l’humanité sur le même objet, au même moment… Cette puissance-là, il faut s’en servir à bon escient. Les cérémonies, c’est toujours le moment de transmettre un message, des valeurs, un questionnement. Et en cela finalement ce n’est pas très loin, à plus grande échelle bien sûr, des mêmes volontés qui m’animent depuis toujours, à la mise en scène ou au jeu dans un spectacle de théâtre.

Photo : Anthony Dorfmann

Quelle influence de ton travail de metteur en scène va-t-on retrouver dans cette cérémonie ?

Il y a sûrement quelque chose de l’ordre du narratif, un récit que j’ai bâti avec des auteurs et des autrices en puisant dans tous les monuments qui jalonnent le parcours, pour raconter une sorte d’histoire de France. Plutôt qu’un grand déploiement de décors, je tiens à mettre les artistes performeurs au cœur du spectacle parce qu’avec la Seine j’ai déjà le plus beau des décors.

Cette cérémonie sur le fleuve, c’était ton idée ou ça faisait partie des contraintes ?

Non, c’est Thierry Reboul, le directeur des cérémonies qui a eu l’idée. J’ai hérité de ce concept et décidé d’en profiter pour repenser aussi la structure de la cérémonie. En gros, on pourrait dire que Thierry a repensé la localisation, et moi le contenu.

L’été dernier, la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby a reçu un accueil pour le moins mitigé. Est-ce que cet épisode a participé de ta réflexion ?

Oui, la réaction du public est intéressante dans ma position, mais je suis bien placé pour savoir que c’est beaucoup de travail et je vais d’abord saluer celui qui a été fait par l’équipe. Une cérémonie, c’est très politique : la France se présente ici aux yeux du monde. Je pense que l’écueil, ici, ce fut qu’une partie de la population ne s’est pas sentie représentée par la proposition artistique. Et ça, c’est ce qui me passionne ! La question de la représentativité est au cœur de mon travail. Pour Paris 2024, c’était une évidence aussi car Paris est précisément une ville qui s’est construite avec l’ensemble des cultures, nations, langues, courants artistiques venus du monde entier.

Est-ce que tu as regardé d’autres cérémonies d’ouverture ?

Oui, toutes ! En fait non, pas toutes, parce qu’il y en a eu beaucoup trop, mais en tout cas celles des quinze dernières années… Ouverture, clôture, j’ai tout regardé !

Est-ce que des artistes comme Philippe Decouflé t’ont inspiré ?

Il y a dans chaque cérémonie des choses très inspirantes, celle de Decouflé est évidemment une des plus iconiques, il a griffé très fortement ce type d’exercice, car c’est un très grand artiste. Mais comme on sort du stade pour cette cérémonie, Decouflé ou un autre, il n’y a pas de modèle, d’exemple, parce qu’il n’y a pas de précédent. Ce côté pionnier est très excitant.

Je trouve qu’il y a une symbolique intéressante, une résonance dans cette cérémonie qui se déroulera en bord de Seine. Pour nous Rouennais, la Seine c’est ce qui nous lie directement à Paris, est-ce un aspect qui t’a inspiré ?

On en a peu parlé de ça mais c’est assez intéressant. Quand Thierry Reboul a dévoilé l’idée de cette cérémonie sur le fleuve, je n’avais pas encore été approché. Le journal L’Équipe préparait un article sur le sujet, et m’interroge, parmi d’autres artistes, sur le projet. Alors je leur donne plein d’idées, très spontanées, et je leur dis qu’il serait intéressant de venir répéter à Rouen, parce qu’il y a la Seine, une île, les quais… Alors oui ce lien est évident, d’ailleurs c’est suite à cet article qu’on m’a contacté. 

Nous, les Rouennais, avons un rapport particulier à ce fleuve…

Oui, comme beaucoup de monde ici, la Seine je l’ai découverte avec l’Armada, enfant, et j’ai des souvenirs de quais bondés, de fêtes, de concerts… J’en garde aussi de la foire Saint-Romain sur les quais. Cette lumière, ce fleuve à vivre, un grand ruban central autour duquel les événements ont lieu.

« Henry VI », un texte de Shakespeare mis en scène par Thomas Jolly – Photo : Nicolas Joubard

Rouen, tu en es parti il n’y a pas si longtemps, en 2019. Quelles attaches tu conserves ici ? Que t’inspire cette ville ?

Rouen, c’est la ville qui m’a vu naître deux fois. Une première fois, de manière biologique, en 82. J’y suis moins relié dans mon enfance parce que j’habitais dans un village mais j’y suis revenu pour le lycée. Ensuite, je pars faire mes études de théâtre à Caen, puis à Rennes, et enfin, je reviens à Rouen cette fois avec ma famille : ma compagnie la Piccola Familia, en 2006. Une seconde naissance, celle de mon parcours de metteur en scène et d’acteur, les premières pierres de ma carrière, à la Chapelle Saint-Louis, aux Deux Rives. Ensuite, j’ai pris la direction du centre dramatique d’Angers, pas par désamour mais en raison d’une mission qui m’attendait ailleurs.

Ton cœur est toujours un peu à Rouen donc…

Mon cœur y sera toujours. Ma famille y vit encore et maintenant que je suis Parisien, c’est un accès très rapide.

Starmania arrive à Rouen d’ailleurs, au mois de juin, du 12 au 16…

Je suis trop content, c’est trop bien, j’ai tellement hâte de retrouver le public rouennais avec ce spectacle, en attendant de revenir au théâtre. Je n’ai pas joué à Rouen depuis 2022 je crois…

Thomas, comme tu sais, on garde toujours les questions qui fâchent pour la fin. Raph dit que tu es un punk dans l’âme. Est-ce que tu t’y reconnais ?

Je crois que oui, un punk, mais sage, enfermé dans sa petite coquille. Je crois que le contraste est assez juste. Je suis assez inconscient, mais surtout je déteste les pensées limitantes, et plus encore les limites qui n’ont pas de sens, juste convenues. J’aime pousser les murs, tester de nouvelles limites, ne pas s’endormir. Pas par volonté de performance ou d’originalité, mais pour proposer une expérience renouvelée aux spectateurs, plus forte, plus vibrante, plus partagée. Le spectacle vivant est un outil fondamental pour les temps qu’on est en train de traverser, et je crois qu’il faut sortir de son côté consumériste, standardisé, des formats d’une heure-trente. Il faut faire de chaque moment de théâtre une expérience, dont on ressort un peu mieux, ou en se posant les bonnes questions. Je ne donne pas de réponse, je ne sais pas comment fonctionne le monde, mais j’aimerais qu’au moins on sorte de mes spectacles plus riche, peut-être plus éveillé à ce que l’on traverse.

Est-ce que tu dirais que Starmania s’inscrit dans cette vision ?

Starmania, c’est marrant, parce qu’à l’origine il y a Michel berger et Luc Plamandon, deux gars de 30 ans qui inventent un truc. Il faut se remettre dans le contexte : à l’époque il n’y a pas de comédie musicale, il n’y a pas eu Notre-Dame de Paris, Roméo & Juliette… Ça n’existe pas en France ! Et eux, ils arrivent avec ça, c’est alternatif, dissident. D’une certaine manière c’est pas loin d’être punk ! J’ai voulu retourner à cet ADN parce qu’on connaît par cœur les chansons, mais ce que raconte Starmania, c’est toujours très puissant dans notre actualité. 

Propos recueillis  par Thomas Godeby, Raphaël Monteiro et Albert Lourdes – Pop-Up

Infos pratiques

  • Starmania, mercredi 12, jeudi 13 et vendredi 14 juin à 20 heures, samedi 15 juin à 15 heures et 20 heures, dimanche 16 juin à 15 heures au Zénith de Rouen
  • Cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de Paris vendredi 26 juillet et celle des jeux paralympiques mercredi 28 août 
Photo : Anthony Dorfmann