Cali : « cette biographie est comme un mot d’excuse »

Photo : Philippe Frnd

C’est quand le bonheur ?… Ce titre a envahi les ondes et propulsé sur les scènes Cali, un artiste ô combien mélancolique, plein de fougue et de colère. C’était il y a un peu plus de vingt ans. En 2023, Cali parcourt à nouveau les chansons de L’Amour parfait avec plusieurs chanteuses et chanteurs dans 20 ans d’amour parfait. Le retour sur le premier album s’accompagne d’une biographie signée par David Desvérité. Je dois encore vivre est riche de témoignages et éclairante sur l’écriture et les engagements de Cali. Entretien avec le chanteur qui sera en concert samedi 13 juillet à Pont-Audemer pendant le festival Les Mascarets.

Vous êtes revenu sur ce tout premier album, L’Amour parfait, vingt ans après sa sortie. Est-ce que ce disque marque un avant et un après ?

Oui, c’est clair pour moi. Avant, je faisais les bals de mon village. Une histoire d’amour venait de se terminer. Après, j’ai écrit des chansons pour me faire du bien, pour panser des plaies. Par un concours de circonstances, ces chansons ont trouvé un public. Cet album est mon trèfle à quatre feuilles et m’a permis de partir de ma Catalogne et de parcourir le monde.

La musique tenait déjà une grande place dans votre vie.

J’ai fait mes armes dans mon village. J’ai démarré tôt. À 15 ou 16 ans, je faisait mon apprentissage et c’était sans théorie. Jouer pendant les bals m’a beaucoup aidé. On apprend la technique, à affronter le public.

Comment résonne cette chanson, C’est quand le bonheur ?, vingt ans plus tard ?

C’est une punchline. Quand j’ai commencé à l’écrire, j’étais loin de ma chérie qui habitait à l’autre bout de la France. J’avais les couplets, tristes. Comme d’habitude. Un jour, elle m’envoie une carte sur laquelle était écrit : c’est quand le bonheur ? J’ai collé ces mots-là dans la chanson. Je suis très heureux de la chanter encore aujourd’hui. Quand je vois des gens la reprendre par cœur, cela me touche. Quant au bonheur, on sait qu’il est là quelque part. La vie nous fait passer du froid des ténèbres à la chaleur du soleil.

Cet album est aussi empreint de colère.

Ce n’était pas le but. J’ai jeté ces mots dans une fougue. J’avais besoin de les cracher. Mais ça ne visait rien du tout.

Elle est toujours intacte, cette colère ?

Oui, toujours. C’est une colère de jeune. Cela revêt un état d’esprit. Il faut rester en colère. Sinon, on accepte que des gens ou la vie décident de tout pour nous. Et ça, il ne faut jamais l’accepter. Je suis en colère parce qu’il y a des gens qui profitent d’un savoir pour dire si on aide l’hôpital, l’école, ça va coûter une somme énorme. Et ce sont les mêmes gens qui réfléchissent à construire des hôtels sur une autre planète ou pour dire qu’il est impossible d’accueillir d’autres personnes. Mais qui sont-ils pour dire cela ? C’est très individualiste. À l’ère des réseaux, on n’a jamais été aussi seul. Et ça me démoralise. Pendant le Covid, nous avons quand même accepté de nous signer des papiers pour aller dans la rue ! Aujourd’hui, il y a une colère aussi de la part des jeunes qui ne feront pas les mêmes conneries que nous. Ils y vont à fond. C’est pour cette raison que j’ai cette colère en moi.

Quelles étaient vos intentions en parcourant un album vingt plus tard ?

Je voulais honorer ce disque et le faire avec des chanteurs. Je me suis souvenu quand le chauffeur du bus qui m’emmenait au collège à 11 ans écoutait Cabrel à fond. Cela me donnait la force d’y aller. J’avais envie d’un album doux avec eux. Comme s’ils venaient à un anniversaire. Je voulais un duo avec Adamo. Pour Dolorosa, j’ai pensé à Olivia Ruiz. Charlélie Couture est comme un frère pour moi. Bernard Lavilliers m’a toujours protégé et emmené dans ses combats pour défendre ceux qui souffrent dans les usines. Stephan Eicher avait beaucoup aimé la chanson, Pense à l’avenir. Alors je lui ai dit : c’est toi qui la chantes. S’ils avaient été encore là, il y aurait eu Daniel Darc, Mano Solo, Alain Bashung, Jacques Higelin.

Avez-vous pensé cet album comme un bilan ?

Non, je n’aime pas ce mot. Tout comme celui de carrière. Ce sont des mots telles des pierres tombales. Je suis encore un peu en vie. Un bilan, c’est médical et je ne me retourne jamais.

Vous avez pourtant regardé un peu en arrière avec cette biographie, écrite par David Desvérité.

C’est surtout lui. Je suis très fier de ce livre. J’avais lu ses livres précédents sur Charlélie Couture et Philippe Djian. Son écriture m’a beaucoup touché. David est allé voir des gens qui m’accompagnent. Il n’a pas survolé. Il a effectué un vrai travail. J’ai appris beaucoup de choses. Mes petits-enfants sauront qui est leur grand-père. Mes enfants savent ce qu’est ma vie. Cette biographie est comme un mot d’excuse.

Le livre le montre : la famille reste toujours importante à vos yeux.

Oui, c’est important. La famille est au cœur des déchirures et de toutes les joies. J’ai des enfants qui ont 26, 18, 11 et 5 ans. J’ai l’impression d’être toujours avec des bébés. Souvent, ils m’en veulent quand ils regardent d’autres papas. La famille, c’est une déchirure essentielle dans la vie.

Il y a aussi chez vous une fidélité en amitié, dans vos engagements.

Ce qui me gène, c’est le besoin de me justifier. Aujourd’hui, c’est plutôt chante et tais-toi. Il m’est arrivé de partager des idées mais cela m’a joué des tours. Sur les dernières élections, j’ai posté deux ou trois trucs. Il n’y avait pas besoin d’en rajouter. J’en ai d’ailleurs parlé aux Motivés, Mouss et Hakim, qui sont en contact tout le temps avec les gens. C’est super important dans cette période d’être dans des associations. Je n’oublie pas que mon père est arrivé en France dans une brouette. J’apporte mon aide à SOS Méditerranée parce que les arrivées de personnes ne s’arrêteront jamais. Il faut être là, les aider comme on peut. Je sais que ça ne va pas changer le monde mais je propose à SOS Méditerranée de planter une tente lors des concerts.

Infos pratiques