Le duc Vincentio prend la décision de confier le pouvoir à son cousin, Angelo. La raison annoncée : le souhait de partir en retraite dans le pays voisin. La véritable raison : confier la régence le temps d’un vote d’une loi impopulaire punissant l’acte sexuel en dehors du mariage. Déguisé en moine, Vincentio va découvrir son territoire et ses habitants alors qu’Angelo se révèle un homme de pouvoir aux pratiques abusives. Quand le second condamne à mort Claudio, le premier use de tous les moyens pour sauver le jeune homme. Il est question de justice, de religion, d’égalité dans Mesure pour mesure, une pièce de théâtre de Shakespeare, présentée par la compagnie Dodeka à Coutances, Mondeville, Bayeux, Granville et Falaise. Entretien avec Vincent Poirier, comédien et metteur en scène.
Pourquoi revenez-vous une nouvelle fois à Shakespeare ?
J’adore me confronter régulièrement à la poésie de Shakespeare. C’est un des grands auteurs qui raconte le monde dans une langue bien à lui. Quand j’ai commencé à lire ses œuvres, j’avais l’impression de lire une langue étrangère tout en découvrant un monde qui a des résonances étonnantes avec le nôtre. Cette langue est aussi d’une beauté ! En tant que comédien, j’ai plaisir à dire ce qu’écrit Shakespeare. De plus, la versification de Jean-Michel Déprats, qui a traduit Mesure pour mesure, est sublime. Depuis vingt-cinq ans, je relis Hamlet chaque année. Cela permet de revenir aux bases du théâtre. Mais cette pièce me fait peur.
Après Titus Andronicus et Roméo et Juliette, vous mettez en scène Mesure pour mesure. Pourquoi cette pièce ?
Je n’avais jamais monté une comédie. Après une tragédie et un drame, j’avais envie d’une comédie. En tant qu’acteur, j’aime jouer les comédies. Je l’ai fait dans Fragments du songe d’une nuit d’été, mis en scène par Éric Lacascade. J’ai failli monter Mesure pour mesure en 2003 à la place de Titus. Nous avions fait des lectures à voix haute. Mais il y a eu des hésitations. Quand j’ai découvert le film d’Ali Abbassi, Les Nuits de Mashhad, je suis revenu à Mesure pour mesure. Je venais justement de relire la pièce. Les deux œuvres sont entrées en résonance. Elles abordent diverses thématiques, comme la place de la femme, la religion, la prise du pouvoir par un homme fantasque.
Mesure pour mesure n’est pas seulement une comédie.
C’est même plus un drame qu’une comédie. C’est pour cette raison qu’elle est difficile à monter. C’est une pièce hybride. Nous passons d’un code de jeu à un autre et ce n’est pas simple. À l’acte 2, nous sommes dans la farce. Puis nous passons dans des scènes très dures.
Vous parlez de résonances. À quel endroit se situent-elles ?
Ces dernières semaines, j’ai écouté les discours de Trump et j’ai halluciné. Notamment lorsqu’il parle de la place de la femme. Dans cette pièce, Angelo dit à Isabella : je sauve votre frère et vous m’offrez votre corps. Tout est consommation dans Mesure pour mesure : la justice, le pouvoir, le sexe… Les personnages font du deal. Ils ont perdu leur conscience et leurs rêves. À Rodolphe Dekowski qui joue le rôle d’Angelo, je lui ai demandé de se détruire. Je sais qu’il peut aller loin dans le burlesque et la dérision. Je souhaite qu’il aille loin dans l’outrance. Jusqu’à l’implosion.
Comment voyez-vous le personnage du duc Vincentio ?
C’est le plus salaud de tous les personnages. Il n’assume pas ses choix et préfère se faire remplacer quand il veut faire passer une loi. Il a un autre projet : récupérer Isabella. Dans cette pièce, les femmes sont emprisonnées dans les discours des hommes. Elles sont malmenées mais elles possèdent une force. Elles ont le verbe incisif alors que les hommes se détruisent avec un verbe inoffensif.
Vous jouez le rôle du duc Vincentio. Pourquoi ce personnage ?
Il met tout en œuvre. Il crée le stratagème et dirige tous les personnages. Tout cela est très machiavélique et très sombre. C’est d’ailleurs le personnage le plus sombre de la pièce alors qu’Angelo est dans un délire. Le duc pense tout. Il met en péril une ville entière. Il est un grand neurasthénique et un homme désespéré. C’est Macron en ce moment. Quand il se retrouve dans la peau d’un religieux, il a cependant une humanité. Il est aussi sincère lorsqu’il veut sauver Claudio. Et il est aimanté par Isabella. C’est génial de jouer un religieux. Je joue le duc à l’acte 1 et 5. Le religieux est davantage présent dans les autres. C’est un personnage très complexe. J’ai mis du temps à l’apprivoiser. La pièce raconte également nos dissimulations. Nous nous cachons. Nous ne sommes jamais nous-mêmes. Lui se cache et observe le monde. Maintenant, je commence à m’amuser avec lui.
Pour cette mise en scène, vous réunissez neuf comédiennes et comédiens dont une compagnie des arts de la rue, Joe Sature et ses joyeux osselets.
J’avais envie de travailler avec des artistes qui n’ont pas les mêmes codes que nous et qui peuvent être décontenancés par le propos de la pièce. Ils sont les gens de peu qui essaient de donner leurs points de vue aux gens de pouvoir. Or ils n’ont pas les mots et la force de persuasion. Ce sont des personnages burlesques parce qu’ils ont une grande capacité de dérision. C’est toute l’incompréhension entre le peuple et le pouvoir. C’est un dialogue de sourds. Cela m’a fait penser aux Gilets jaunes.
Infos pratiques
- Mercredi 13 et jeudi 14 novembre à 20 heures au Théâtre municipal à Coutances. Tarifs : de 18 à 9 €. Réservation au 02 33 76 78 68 ou en ligne
- Mardi 3 décembre à 20 heures à La Renaissance à Mondeville. Tarifs : de 16 à 8 €. Réservation au 02 31 35 65 94 ou sur www.larenaissance-mondeville.fr
- Mardi 28 janvier à 19h30 à La Halle ô grains à Bayeux. Tarif : 15 €. Réservation au 02 31 92 03 30 ou en ligne
- Jeudi 30 janvier à 19h30 au théâtre de la ville à Saint-Lô. Tarifs : de 16 à 10 €. Réservation au 02 35 57 11 49 ou en ligne
- Mardi 4 février à 20h30 à l’Archipel à Granville. Tarifs : de 18 à 8 €. Réservation au 02 33 69 27 30 ou sur www.archipel-granville.fr
- Jeudi 6 février à 20 heures au Forum à Falaise. Tarifs : de 13 à 10 €. Réservation au 02 31 90 89 60 ou en ligne
- Durée : 2h15