Arman Méliès : « faire de la musique, c’est être dans l’instant et faire vibrer »

photo : Yann Orhan

Avec Arman Méliès, on « saute dans un rêve » avec bonheur. Ambrosia, son dixième album, offre un délicieux moment suspendu où la lumière transperce les ombres. Avec une grande sensibilité et une poésie brûlante, Arman Méliès conte le sentiment de fragilité, l’impermanence des choses pour célébrer l’instant présent. Ambrosia, boisson divine qui assure l’immortalité des dieux grecs mais reste un poison pour les humains, est une ode à la vie sur une musique envoûtante. Le chanteur renoue avec les guitares et ajoute les touches délicates du violon de Pauline Denize. Samedi 26 et dimanche 27 avril, à la salle Jean-Pierre-Bacri à Conches-en-Ouche, Arman Méliès sera entouré de la chorale Au Cours de l’Iton et du quatuor Altaïs, dirigés par Olivier Gall. Entretien.

Les chansons sont-elles des petits morceaux d’éternité ?

Ce serait beau mais ce n’est pas le cas. Les chansons sont de petits instants capturés, des moments que l’on essaie de capter, de garder en soi. 

Dans cet album, Ambrosia, il y a deux parenthèses qui ont pour titre Religare, un mot qui signifie lier ou relier et qui a donné le mot religion. Les chansons ont-elles une dimension spirituelle ?

Oui, je le pense vraiment. C’est pour cette raison que ces titres s’appellent de cette manière. Les chansons permettent de se relier à quelque chose qui est plus grand que soi. Quand on fait de la musique, de l’art, la poésie peut se loger partout. Les sportifs aussi ont l’impression de se relier à quelque chose de plus grand qu’eux. Avec la musique, j’essaie de me connecter à des choses que je ne vais pas comprendre, à des émotions, à des forces. Il y a là quelque chose de spirituel. Ce n’est pas religieux parce que je suis athée.

Savez-vous à quel moment se produit cette connexion ?

Cela peut arriver à des moments différents. Le premier, qui est le plus plaisant, le plus grisant, c’est l’inspiration. Ce moment où vous avez l’idée d’un bout de texte, une mélodie en tête. Ce moment où tout commence à naître. Là, vous pouvez ressentir une sorte de joie et c’est complètement extérieur à vous. Vous avez l’impression que tout est possible, que tout va être fluide et naturel. C’est très plaisant parce que vous n’avez pas encore intellectualisé les choses et vous n’avez pas encore rencontré d’obstacles. On le sait, il y a toujours un moment où vous allez être confronté à une phrase, un rythme, un arrangement. Là, les choses se referment. Vous avez l’impression que vous tenez une bonne idée mais ça ne marche pas. C’est un vrai travail d’artisan. Ces premiers moments de grâce et d’oubli sont des micro épiphanies.

Dans Ambrosia, vous abordez à nouveau la marche du temps. C’est un thème récurrent dans vos chansons.

Ce n’est pas très original. Le temps est une grande thématique abordée dans la chanson et j’y souscris. Il nous travaille en permanence avec la peur de ce qui va advenir, le regret de ce que l’on n’a pas fait et la joie de se projeter sur ce qui va être. C’est en effet un sujet qui me travaille et que j’aime mettre en chanson, qui se prête à l’écriture pour jouer sur les choses éphémères, leur impermanence et leur beauté.

Vous écrivez aujourd’hui sur ce thème avec plus d’apaisement.

Oui, c’est ce que j’ai essayé de faire. Certains trouvent néanmoins cet album un peu pessimiste. J’avais dès l’écriture de l’album un rapport apaisé au temps qui passe. Dans Obake, je parlais de la présence des absents, des fantômes. Je voulais écrire sur la façon dont les gens continuent à m’accompagner. Dans cet album, j’ai eu envie de dire le plaisir à être conscient que ce que l’on vit est éphémère et la suite, incertaine. Il faut être dans la joie du moment.

Avez-vous appris à « chérir l’instant » comme vous l’écrivez ?

Oui, c’est quelque chose qui m’est cher. Cela fait un moment que je travaille là-dessus avec plus ou moins de succès selon le parcours de la vie. C’est presque aussi une métaphore de la musique parce qu’elle se vit dans l’instant, avec des notes qui n’existent plus et celles qui n’existent pas encore. Faire de la musique, c’est être dans l’instant et le faire vibrer.

À quel moment est arrivé ce mot, Ambrosia, dans le processus d’écriture ?

Il est venu assez vite. Ce ne devait pas être le titre de l’album. Ce mot a une consonance qui me plaît beaucoup. Il s’y cache un certain mystère. L’ambrosia est pour moi une métaphore de ce qu’est l’art. Parfois, on touche à la divinité en faisant des chansons ou des tableaux. On peut être un dieu tout puissant tout en étant très vulnérable parce que l’on se livre totalement.

Dans Ambrosia, vous avez souhaité une prédominance de la guitare et de la voix. Est-ce que ce choix a influencé votre écriture ?

Oui, beaucoup. À la suite d’Obake, un disque très arrangé, avec des synthés, il y a eu l’idée de sortir un album acoustique, peu arrangé, pour mettre en avant le chant et les textes. J’ai voulu prendre le contrepoint, non pas pour renier le disque précédent mais pour me surprendre. C’est un exercice qui me porte depuis longtemps. Cela est assez proche des premiers disques que j’ai sortis. Ceux-là, je les ai moins théorisés. Il y avait, à ce moment-là, une sorte d’élan naturel. Je voulais trouver une patte. Puis j’ai développé des couleurs différentes pour revenir cette fois à quelque chose de plus simple dans l’approche. Ce n’est pas si évident lorsque l’on travaille seul. Quand on a du temps pour essayer plein de choses, on peut perdre son intention première parce que l’on a envie de rajouter d’autres instruments, d’autres arrangements. Avec cet album, je suis resté fidèle à mon idée : être au plus près de l’os, garder quelque chose d’organique. Même s’il y a certaines imperfections lors de prises de guitare ou des passages chantés.

Vous avez à nouveau collaboré avec Pauline Denize, musicienne havraise.

Oui, c’est la troisième fois. Nous nous sommes croisés de temps à autres. Sur cet album, je ne voulais pas énormément d’arrangements. J’avais envie que les personnes qui m’accompagnent apportent une touche élégante. Pauline amène quelques cordes comme cela et des chœurs.

Quelle idée vous a guidé pour l’élaboration de la pochette du disque ?

Je n’ai pas beaucoup de mérite. C’est Yann Orhan, graphiste, qui a réalisé la pochette. Je lui ai juste donné quelques indications. J’avais en tête une sorte de planétarium, de cartographie, de cosmos et j’avais isolé des thèmes de l’album. Les dessins, qui peuvent être un peu enfantins, ont été réalisés dans de grands formats et ont été réunis pour former un monde imaginaire.

Vous allez chanter avec la chorale Au Cours de l’Iton et le quatuor Altaïs. Comment avez-vous imaginé ce concert ?

Tout cela s’est fait de façon empirique. Avec Olivier Gall, nous avons isolé quelques chansons pour les revisiter avec la chorale. Quand le disque est sorti, nous avons greffé deux ou trois nouveaux titres, puis d’autres. Comme les chansons sont minimalistes dans leur facture, il était évident qu’elles se prêtaient bien à ce genre d’exercice. Olivier a travaillé les arrangements. Ce sera très beau.

Qu’apportent la chorale et le quatuor ?

Ils amènent du lyrisme, quelque chose d’un peu plus épique, un certain souffle qui est gratifiant. Quand on veut lâcher les chevaux, après avoir travaillé dans la retenue, cela donne quelque chose de puissant et de magique. Ce que nous avons réussi à faire est très touchant.

Infos pratiques

  • Samedi 26 avril à 20 heures, dimanche 27 avril à 15h30 à la salle Jean-Pierre-Bacri à Conches-en-Ouche
  • Tarifs : 14 €, 7 €
  • Réservation en ligne