Les histoires familiales sont inscrites dans les corps pendant plusieurs générations. Théâtre Group’ s’est inspiré de celle de Marc Gourreau, directeur de l’Archipel et auteur de Blessures d’Indochine, pour écrire Garde-Boue !, un spectacle présenté pendant les Sorties de bain du 3 au 6 juillet.
La maison est un peu brinquebalante mais elle est remplie d’une multitude d’objets et autant de souvenirs. Jeannot habite là avec son neveu, Lulu. Cet adjudant-chef en retraite est veuf et ce grand gamin de 40 ans vit de petits boulots. Il a été recueilli à l’âge de 11 ans par Jeannot et son épouse, Simone, après le décès de sa mère. Son père, Claude, frère de Jeannot, n’était déjà plus là. Soldat pendant la guerre d’Indochine, il est mort au front. Alors Jeannot est « le père de substitution de Lulu ». Et ces deux-là ont des blessures intimes très profondes.
Ce jour de l’année 1984, Jeannot et Lulu ont décidé de faire du ménage dans la maison. Ils sortent de nombreuses caisses pour faire du tri. Mais faut-il se débarrasser des chaussures de Claude ? Faut-il jeter le service de table de la famille ? Et quoi faire des 33 mobylettes ? Pas facile d’abandonner tous ces trésors certes qui peuvent certes être encombrants mais qui comblent un tel vide.
Le faux et le vrai
C’est l’histoire de Garde-Boue !, la nouvelle création du Théâtre Group jouée par Patrice Jouffroy et David Gambier du 3 au 6 juillet à Granville pendant le festival Sorties de bain. Le comédien et metteur en scène de la compagnie du Jura, revient sur un épisode tragique de l’Histoire. « Je suis fasciné par les conflits mondiaux. Je me suis toujours demandé comment les soldats vivaient dans ces machines à broyer, comment surtout ils survivaient. Pendant cette guerre d’Indochine, mais qu’ont foutu nos grands-parents ? Je ne connaissais pas bien cet épisode historique ».
Patrice Jouffroy s’est emparé de l’histoire familiale de Marc Gourreau, directeur de l’Archipel à Granville.. L’un écrivait un spectacle et l’autre, un livre. « Il y a eu une alchimie. La correspondance de Claude, l’oncle de Marc, a nourri notre imaginaire. Tout comme les photos. Nous avons fait comme si Claude avait eu un fils qu’il avait à peine connu. Dans ce spectacle, il y a un mélange de faux et de vrai ».
Garde-Boue ! est une comédie dramatique sur la transmission d’une douleur et d’un vide d’une génération à une autre. « Ça se niche toujours dans les recoins du corps », remarque Patrice Jouffroy. Ce spectacle du Théâtre Group’ explore également la relation fusionnelle entre un oncle et son neveu qui cherchent ensemble à combler un manque.
Des Blessures d’Indochine : une correspondance intime

« C’est une histoire lourde à porter ». Une histoire qui a été le plus souvent tue. Néanmoins, les faits et les documents sont là. « C’est mon père qui les gérait ». Marc Gourreau, directeur de l’Archipel, n’a pas connu son oncle, Claude, mort le 8 novembre 1952 pendant la guerre d’Indochine dans les Calcaires du Lo Son au Tonkin juste quelques jours avant son retour en France. Son père, Yvon, avait 11 ans et venait de perdre son héros. « Je porte le poids de ses douleurs, sa détresse psychologique ».
Il a fallu un voyage au Vietnam pour débloquer une écriture. Hasard, ou pas, des dates, Marc Gourreau était à Saïgon pour fêter les 23 ans de son fils. Soixante-dix années plus tôt, Claude y était présent pour mener cette guerre et il avait aussi 23 ans. Alors, cette histoire, « il fallait qu’elle sorte. Il y a eu un déclic si fort. Je ressentais une urgence à écrire parce que tu ne te sépares jamais de ton passé. L’écriture m’a permis de comprendre que nos souffrances d’adolescent et d’adulte sont liées aux souffrances de mon père ».
Le passé et le présent
Marc Gourreau a écrit Blessures d’Indochine, un livre bouleversant qu’il dédicace dimanche 6 juillet à la librairie Le Détour à Granville. Une série de lettres, réécrites à partir des originales, permettent de suivre le parcours d’un soldat selon ses états d’âme, ses colères, ses interrogations sur les raisons de ce conflit colonial, ses doutes, ses manques. Il y a beaucoup de pudeur dans cette correspondance. Claude, le fils, tente toujours de rassurer, répète qu’il ne cesse de penser à ses parents. Claude, l’amoureux de Jacqueline, reste le même, puis évoque le manque et pense déjà au mariage avec celle qui occupe ses pensées. Claude, le frère, prend le rôle du père et sermonne gentiment Yvon lorsqu’il ne travaille pas correctement à l’école.
Dans ces Blessures d’Indochine, l’auteur fait dialoguer le passé et le présent. Le passé avec toutes ces lettres de Claude qui racontent en fait les liens indéchirables au sein d’une famille. Et le présent avec une jolie lettre d’amour de Jacqueline qui n’a jamais oublié cet homme et une autre, très touchante, de Marc Gourreau adressée à son père. Il y a enfin la correspondance entre le directeur de l’Archipel et Patrice Jouffroy du Théâtre Group’ qui donnent quelques clés de la construction de ce spectacle, Garde-Boue !.
Infos pratiques
- Du 3 au 6 juillet à Granville. Programme complet. Spectacles gratuits
- Dimanche 6 juillet à 15 heures : dédicace de Blessures d’Indochine (Anépigraphe Editions) à la librairie Le Détour, rue des Juifs à Granville