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Théophile Alexandre au Volcan : « le baroque est une ode à l’acceptation de soi »

Il chante et il danse. En même temps. Un véritable exploit ! Théophile Alexandre n’a jamais pu choisir. Dans son premier spectacle, ADN Baroque, le contre-ténor havrais s’est fixé comme objectif de faire redécouvrir la musique baroque avec seulement sa voix, ses mouvements chorégraphiés par Jean-Claude Gallotta et un piano, celui de Guillaume Vincent. C’est un parcours en 21 escales musicales à suivre vendredi 13 octobre au Volcan au Havre. Entretien avec Théophile Alexandre.

A quand remonte votre rencontre avec la musique baroque ?

J’ai découvert la musique baroque à l’adolescence avec le film Farinelli, au temps des castrats, (de Gérard Corbiau, ndlr) qui m’a profondément bouleversé tant cette musique me semblait venir des cieux autant que du plus profond de l’âme. Et ses thèmes phares, Alto Giove de Porpora comme Lascia ch’io Pianga de Handel, sont alors devenus mes remparts que je me fredonnai quand le monde qui m’entourait m’était trop violent. Il était évident pour moi que ces deux airs aient une place de choix dans ma création ADN Baroque. De même, mon père écoutait en boucle le 33t de Klaus Nomi, et sa relecture troublante du Cold Song de Purcell, qui m’a baigné dès l’enfance, sans même que je le sache, dans le baroque.

Qu’est-ce que l’ADN du baroque ?

L’ADN du baroque, c’est l’essence d’un courant artistique fait de contrastes et mouvements permanents, dont les créateurs de génie comme Bach, Handel, Rameau, Purcell ou Vivaldi ont écrit parmi les plus belles pages de l’histoire de la musique. Mais c’est aussi un regard visionnaire sur l’humain : pour la première fois, l’homme y était célébré dans toutes ses contradictions, tant dans sa volonté spirituelle de s’élever que dans ses parts animales, plus passionnelles ou viscérales. Le baroque, qui vient du portugais Barocco, signifiant la perle irrégulière, est dans le fond une célébration de nos parfaites imperfections, une ode à l’acceptation de soi, dans nos grandeurs comme dans nos fragilités. Avec cette très belle idée que c’est par nos failles que filtrent notre lumière intérieure, notre singularité. Un message aussi universel qu’intemporel !

Que souhaitez-vous dévoiler ou faire découvrir de la musique baroque avec ce spectacle ?

Son extraordinaire modernité, déjà, qui peut parler absolument à tous, que l’on aime le classique ou pas. Car c’est une musique qui prend aux tripes, très immédiate, très intuitive, qui ne nécessite aucune culture particulière pour qu’elle nous touche. Et puis c’est une musique qui explore toutes les émotions de l’humain, de nos élans les plus solaires à ces tourments déchirant nos nuits, en passant par tous nos troubles en clair-obscur. Comme si la musique baroque avait décodé l’ADN émotionnel de l’homme, avant l’heure. C’est sans doute pour cela qu’elle nous touche tant…

 

 

Le piano-voix était la meilleure formule pour parvenir à vos objectifs avec ce spectacle ?

C’était une volonté artistique de relecture intime, avec un immense travail d’adaptation que nous avons mené avec Guillaume Vincent, le pianiste concertiste avec qui je porte ce spectacle, pour retraduire avec un seul instrument toute la richesse d’un orchestre. Et puis c’était surtout la volonté de faire (re)découvrir le baroque autrement, par une relecture contemporaine sur l’instrument de référence d’aujourd’hui, le piano. Une façon de faire vivre cette musique extra-ordinaire sans aucune barrière à l’entrée pour aucun auditeur, et de pouvoir partager ces chefs d’oeuvre avec le plus grand nombre.

Quels ont été vos critères de choix des pièces musicales dans le vaste répertoire de la musique baroque ?

Le spectacle se compose de 21 pièces, comme les 21 grammes du poids de l’âme, pour emmener les auditeurs dans un conte moderne sur l’humain, et toutes les émotions que l’on traverse dans une vie. Pour les sélectionner, nous avons mené un vrai travail de fond avec Barbara Nestola, musicologue du centre de musique baroque de Versailles et CNRS de Paris, Guillaume Vincent et le directeur artistique de notre compagnie, Emmanuel Greze-Masurel. Notre volonté ? Choisir chaque pièce pour l’émotion principale qu’elle explore, et construire pièce par pièce un vrai voyage dans l’ADN émotionnel des hommes et femmes que nous sommes aujourd’hui. Au total, nous avons 4 pays, 5 langues, 9 compositeurs qui se rencontrent, des chefs-d’œuvre revisités en piano-voix comme des raretés, et même une première mondiale. Le tout relié par le choix radical et cohérent du mode mineur, qui est le mode le plus bouleversant, au plus proche de notre émotionnel.

Est-ce la musique qui vous a amené vers la danse ? Ou le contraire ?

Petit, j’étais fasciné par Maria Callas, Klaus Nomi et Rudolf Noureev, dont j’admirais l’excellence et l’audace artistique autant que leurs quêtes d’absolu. J’imaginais du coup des spectacles où je mettais en scène mes J’aime lire en les chantant et les dansant, comme si c’était mon langage naturel. Et plus tard, je n’ai pas voulu choisir ni renoncer à l’un ou l’autre : j’ai donc étudié la musique au conservatoire du Havre et suivi l’option danse du Lycée François Ier, puis été reçu en chant lyrique et danse au conservatoire national supérieur de Lyon, avant d’intégrer la compagnie de Jean-Claude Gallotta et de chanter, un an plus tard, le rôle-titre d’Orlando auprès de Jean-Claude Malgoire.

Comment concilier danse et chant ?

Ces deux arts sont tellement complémentaires que c’est devenu, avec le temps, une évidence que de les concilier. Longtemps, durant ma carrière, on a voulu me forcer à choisir l’un ou l’autre, à rentrer dans une case… Je suis heureux d’avoir su résister à ce formatage, et d’avoir aujourd’hui la maturité de créer et d’assumer un spectacle construit comme un vrai pont des arts. Alors bien sûr, c’est une performance physique qui demande une exigence et un travail décuplé, mais l’un nourrit tellement l’autre, comme si le corps et l’âme ne parlaient que d’une seule voix, qu’ils sont pour moi indissociables aujourd’hui. Et j’ai hâte de pouvoir partager avec le public du Volcan cette première mondiale, avec l’espoir qu’elle les touche autant qu’elle me transporte.