La fusion des deux orchestres normands inquiète

Les musiciennes et les musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et de l’Orchestre régional de Normandie ont déposé un préavis de grève pour mardi 14 juin, jour d’une représentation de La Flûte enchantée de Mozart. Leur sujet de préoccupation : la fusion des deux formations souhaitée par la Région Normandie.

C’est « une catastrophe culturelle ». Les musiciennes et musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et de l’Orchestre régional de Normandie ont pesé leurs mots. Depuis le début de cette année 2022, leur inquiétude ne cesse de grandir. En cause : la fusion des deux formations, annoncée par Hervé Morin, le président de la Normandie, le 16 novembre 2021. Pour eux, cette décision ne pourra être profitable ni aux publics ni aux artistes. 

Réunis vendredi 10 juin devant le Théâtre des Arts à Rouen, plusieurs membres des deux orchestres avec le personnel administratif ont exprimé plusieurs craintes : la disparition d’une formation, la perte de la stabilité de l’orchestre de l’Opéra, la fin des missions éducatives sur le territoire et un appauvrissement de l’offre musicale. Leur message est clair : ils sont « opposés à ce projet de fusion » et « appellent le public à soutenir les orchestres et les élus à prendre position ».

Une complémentarité

Pour rappel, la région compte deux grands orchestres : celui de l’Opéra de Rouen Normandie avec 40 musiciennes et musiciens permanents et une quinzaine de permittents qui assurent les productions lyriques, les programmations symphoniques et de musique de chambre. L’Orchestre régional de Normandie, basé à Mondeville avec ses 18 interprètes, mène des actions culturelles et portent des projets artistiques classiques et originaux dans les 5 départements de la Normandie. Ce sont deux entités avec des missions différentes et complémentaires. C’est cette richesse et cette diversité qui risquent de disparaître selon eux.

Vont s’ajouter d’autres problèmes. « Si on cumule les saisons des deux orchestres, cela représente 600 médiations et concerts par an. C’est impossible pour un seul orchestre. Des publics vont donc en pâtir ». Autre point : « l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et l’Orchestre régional de Normandie ne formeront jamais un orchestre symphonique parce qu’il y aura des doublons à plusieurs pupitres. Comme ils seront toujours sur deux sites, cela remettra en cause l’excellence que l’on veut nous garantir. Il ne faut pas oublier qu’un orchestre doit travailler avec tout son effectif tous les jours. De plus, il n’y a pas de structures suffisamment grandes dans toute la Normandie pour accueillir une telle formation ».

L’inquiétude va plus loin : « en 2023, il y aura 12 semaines de production musicale à l’Opéra avec l’orchestre régional de Normandie. Pendant ce temps, les musiciens ne pourront pas remplir leurs missions. Ils ne sont pas là pour boucher les trous de l’orchestre de l’Opéra. Il y a aussi une volonté de la Région d’anticiper les futurs départs à la retraite ».

« Aucun projet caché »

Pour Catherine Morin-Desailly, sénatrice et présidente de la commission Culture à la Région Normandie, il n’y a « aucun projet caché, aucune crainte d’appauvrissement. Au contraire, notre volonté est de pérenniser l’artistique et le musical. Nous garderons le même niveau de financement, les mêmes missions de service public. Comme les orchestres vont bénéficier de mutualisations, il sera possible de dégager des marges pour l’artistique. Avec ce qui se profile en terme de baisse de dotations, nous assurons une pérennisation des projets ».

Le désaccord porte également sur la méthode de travail. En décembre 2021, Hervé Morin a proposé des réunions de travail avec les artistes et les équipes administratives des deux orchestres. Sur les six annoncées, trois seulement ont eu lieu. Catherine Morin-Desailly le regrette : « les artistes n’ont plus souhaité venir aux réunions ». Un fait que les membres des orchestres et des administrations réfutent. « nous avons été écartés des séances de travail ». Leur parole n’était pas tout d’abord pas entendue. « Nous avons vite compris que ces groupes servaient juste à cocher des cases. Le premier a permis de se présenter. Pour les autres, il y avait un ordre du jour imposé. Or, nous avions des questions et attendions des réponses. Nous voulions des échanges ».

La quatrième séance, prévue le 4 avril 2022, a ensuite tout simplement été annulée. Et la cinquième, les 25 et 26 avril, a été reportée. Aujourd’hui, toutes et tous sont prêts à « continuer à travailler tous ensemble » pour comprendre « les motivations de ce projet. Pour l’instant, elles ne sont pas claires » et pour faire entendre leurs propositions. « Nous pouvons travailler sur une forme de collaboration ponctuelle et complémentaire. Les deux orchestres sont indispensables. Comme les deux directions ».

Le 27 juin 2022, il sera présenté « les conclusions de l’étude avec plusieurs scenari, assure Catherine Morin-Desailly. Nous choisirons le plus favorable. Celui de la pérennité artistique. Aujourd’hui, aucune décision n’a été prise ».

Pour ces musiciennes et musiciens des deux orchestres, cette décision s’inscrit dans une volonté nationale de fusion d’orchestres. « Le métier de musicien permanent est en danger et la profession va se mobiliser pour cette cause ».