Fusion des orchestres normands : des musiciens demandent un moratoire

Les membres des deux formations régionales ont mené des initiatives différentes, un courrier au ministère de la Culture et un communiqué, pour une même demande  : la suspension du projet de fusion des orchestres de l’Opéra de Rouen Normandie et de l’Orchestre régional de Normandie, souhaitée par la Région Normandie au 1er janvier 2024.

L’inquiétude était déjà présente. Elle s’est accentuée depuis l’annonce récente des contraintes budgétaires et de la fermeture de l’Opéra de Rouen Normandie pendant cinq semaines juste après les représentations de Cendrillon ou Le Grand Hôtel des songes en avril. Cette fois, c’est par écrit qu’elle est exprimée. Les membres de l’Orchestre régional de Normandie ont envoyé un courrier à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, pour demander « l’abandon du projet ». Ceux de l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, unis dans le SNAM (syndicat national d’artistes musiciens) et le SN3M (syndicat national des musiciens et du monde de la musique) ont rédigé un communiqué pour réclamer « un moratoire ». Un rappel : le 16 novembre 2021, à l’issue d’une répétition, Hervé Morin, président de la Région Normandie, fait part de la fusion des deux formations normandes. L’objectif : créer un orchestre symphonique et obtenir un label national.

Une première étude, menée début 2022, a conclu à une refonte de l’EPCC (établissement public de coopération culturelle) qui gère l’Opéra pour intégrer l’Orchestre régional de Normandie (ORN). Tout en maintenant les deux ensembles dans leur ville, à Rouen et à Mondeville, et les plaçant sous une direction générale et artistique commune. Depuis le début de cette année 2023, la seconde étude, en assistance maîtrise d’ouvrage, se penche sur les questions juridiques et sociales. Au 1er janvier 2024, l’association qui porte l’Orchestre régional de Normandie sera dissoute. L’Opéra de Rouen Normandie sera devenu un nouvel EPCC. Les musiciens et musiciennes auront un contrat de travail révisé.

Une offre culturelle moindre

La décision du président de la Normandie n’a pas été bien accueillie. La crainte dans les deux orchestres : une moindre variété de l’offre culturelle dans la région. Si les deux orchestres se retrouvent durant les saisons sur des répertoires symphoniques, ils ont des missions complémentaires. L’ORN, qui fête cette année ses 40 ans, propose des créations pluridisciplinaires et mène un riche programme d’action culturelle sur tout le territoire normand. 

Sébastien Renaud de l’ORN le rappelle : « Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la culture n’est pas favorable à ce projet de fusion. Il l’a écrit au président de Région ». De son côté, Philippe Bajard, timbaliste à l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, le dit clairement : « Nous sommes fondamentalement convaincus que la fusion est une mauvaise formule. Elle n’a pas été justifiée, ni au niveau territorial ni au niveau social ».

Pourquoi ? « Cela ne solutionnera pas les problèmes financiers. Il y aura même un surcoût, remarque le musicien. Dans ce contexte difficile, il est nécessaire de suspendre ce projet, d’étudier la situation et d’analyser les coûts de l’Opéra. Il faut prendre le temps d’une réflexion profonde. Quelle politique met-on en place avec l’ORN pour quelle mission et comment les remplir le mieux possible sur le territoire en prenant en compte la situation actuelle de l’opéra ? On peut avoir deux outils culturels géniaux et nous avons tout à gagner à marcher en synergie ».

« À marche forcée »

À l’ORN, « l’instabilité conjoncturelle ne promet pas un avenir serein. L’État doit mettre des points de vigilance pour rassurer sur l’avenir de notre orchestre. Aujourd’hui, plusieurs de nos collègues sont partis à la retraite et les postes sont gelés. Nous ne savons pas si nous devons les remplacer. Et cette histoire de bi-site est incohérente », selon Sébastien Renaud.

La colère vient se mêler à l’inquiétude. « Le projet se met en place à marche forcée », estime Philippe Bajard. « Depuis le début, il n’y a pas de réels échanges, encore moins une grande transparence. Les questionnements ne sont pas entendus. Quel que soit le document que nous pouvons amener sur la table, la région ne se soucie pas de ce que l’on peut prétexter », constate Sébastien Renaud. Tous deux le regrettent : « il n’y a pas de co-construction ». Faute de dialogue, l’équipe de l’ORN en appelle au ministère de la Culture. « Comme nous ne sommes pas écoutés, l’État aura peut-être la possibilité d’engager des discussions ». 

En attendant, les tutelles doivent rédiger pour le mois de mars le cahier des charges de la future structure qui « devrait être la base de la réflexion ». Quant au projet artistique, il doit être rendu en mai.