Olivier de Sagazan : « transformer le corps lui donne une dimension fantastique »

Photo : Alain Monot

Olivier de Sagazan est biologiste, peintre, sculpteur, metteur en scène et, avant tout, performeur. Son thème de prédilection : la transformation. Son corps devient la source de son travail. Avec l’argile, il se fabrique une nouvelle enveloppe, de multiples apparences pour créer un être hybride, monstrueux. Dans La Messe de l’âne où il convoque théâtre, danse et arts plastiques, il donne à voir avec cinq interprètes une suite de tableaux vivants créant une cérémonie étrange. C’est à voir les 10 et 11 mai au CDN de Normandie-Rouen. Entretien avec Olivier de Sagazan.

Vous avez mené des recherches scientifiques. Quel lien faites-vous entre biologie et art ?

C’est la même recherche. L’objectif est de comprendre le vivant. C’est pourquoi les premières peintures et sculptures ne me satisfaisaient pas complètement. La performance, Transfiguration, a  permis de donner de la vie à mes œuvres. Pour cela, je devais entrer dans la matière. J’ai alors commencé par travailler sur mon corps pour me rendre compte de ce que cela pouvait donner. Je filmais tout parce que je ne pouvais pas me voir. J’ai été bouleversé par le résultat. Je suis passé de la peinture à la performance. C’est ma matière d’investigation.

Dans ces performances, vous laissez une grande part au hasard et aux accidents.

Effectivement, ce fut la découverte de cette performance. Je m’enrobe d’argile. Je suis sous l’argile. Donc je ne me vois pas. L’intérêt est double. Quand vous peignez, vous pouvez avoir du recul sur votre tableau. Là, je ne peux pas juger de ce que je fais. Puis, en aveugle, vous êtes comme un chien fou qui creuse parce qu’il a senti quelque chose. La place du hasard est ainsi énorme. Si la vie n’avait pas bénéficié de hasard, nous serions toujours au stade de bactérie. C’est la mutation et le hasard qui ont façonné la vie. N’oublions pas que, dans les régimes fascistes, il n’y a plus de hasard mais seulement des répétitions.

Alors, il faut faire confiance au hasard.

Oui, il faut faire confiance au hasard. Dans un événement, il y a toujours une part de hasard et une autre part. Or c’est très difficile de les séparer. Quand vous êtes sous l’argile, vous êtes dans un autre état parce que vous n’entendez plus. Vous ne voyez plus rien. Vous êtes comme dans un arrière monde. Vous avez une image mentale de votre corps. Quand on se dessine, vous créez un autre visage avec des yeux, une bouche, des creux pour le nez et les oreilles. Selon les personnes, il y a des zones qui sont davantage sollicitées. C’est un travail de transfiguration. 

L’argile vient alors révéler et non masquer.

Évidemment. Tout masque est amplificateur de présence. Le masque fait apparaître telle ou telle zone. C’est très étrange. Cela correspond à quelque chose mais je suis incapable de dire quoi. C’est une grande découverte. Dans la grande histoire, le masque est rigide, en bois, en papier. Là, il est mouvant, peut se transformer à toute vitesse. C’est très impressionnant. Il traduit ainsi des émotions intérieures qui peuvent aller de la tristesse à la joie. Mais vous n’avez plus les codes pour interpréter parce que cela fait appel à des zones de votre cerveau que l’on ne connaît pas.

Le masque est-il comme une réalité augmentée du corps ?

Oui, c’est ce qu’il y a de merveilleux. Il vient en contiguïté du corps. Cela devient comme un tout. On a alors une sorte d’avatar. On est dans un autre. Ce jeu qui a quelque chose de singulier possède deux valeurs. La première est artistique. Il y a une création de masques. Quant à la suivante, l’argile vous met dans un état second. Quand vous entrez dedans, c’est un voyage qui est plutôt plaisant. Il faut le vivre pour le sentir.

Peut-on parler de violence ?

C’est une impression si on fait une analyse primaire. On voit un visage et, en même temps, un visage déformé. Il ne faut pas prendre ce travail au premier degré. C’est une transformation du corps, un geste qui amène à reconsidérer le corps comme quelque chose d’extraordinaire, de merveilleux. Transformer le corps lui donne une dimension fantastique. Il n’y a rien d’effrayant. Au contraire, cela donne un regain d’énergie. L’art est fait pour nous réveiller et nous interroger.

Avez-vous conçu La Messe de l’âne comme une suite de rituels ?

Oui, nous essayons d’entrer dans un état qui crée une sorte de distanciation, une hypnose grâce aux images fortes produites. 

Qui sont les personnages ?

Dans la société pyramidale, il y a des personnages qui contrôlent les autres. Comme l’homme politique, le prêtre ou encore le chirurgien. Mais lui, c’est pour le bien. Pour les autres, il y a quelque chose de très impressionnant, d’hallucinant dans cette maîtrise du corps. Il y a même un côté démiurge. Différents personnages jouent dans un jeu de dépendance, de rapport amoureux. Ils sont dans une suite de tableaux qui se fondent les uns dans les autres.

Infos pratiques

  • Mercredi 10 et jeudi 11 mai à 20 heures à l’espace Marc-Sangnier à Mont-Saint-Aignan
  • Durée : 1 heure
  • Spectacle à partir de 16 ans
  • Tarifs : 15 €, 10 €
  • Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
  • Aller au spectacle en transport en commun avec le réseau Astuce