Rebecca Armstrong : « je suis prête à partager mon vécu »

C’est une enfance maltraitée que Rebecca Armstrong raconte dans son livre Un deux trois (Ed. Christophe Chomant). La sienne. L’histoire d’une famille sous la coupe d’un mari/père violent à Val-de-Reuil. Ce récit bouleversant prend les contours de la poésie pour exprimer la douleur et la rage, l’impuissance et la haine. Entretien

Pourquoi ce livre ?

La question du pourquoi, elle est plutôt liée à la forme. Je ressentais la nécessité de m’exprimer sur le sujet mais je voulais que cela prenne une forme littéraire. Entre récit et poésie. Simplement parce que j’avais déjà lu des témoignages et que je ne me retrouvais pas dans ce genre.

D’ailleurs, dans le livre, il y a assez peu de descriptions précises des faits et des endroits…

En fait, j’ai des sensations et des souvenirs précis. Des sons, des odeurs. Mais j’ai l’impression que je ne souviens plus du tout du reste.

Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

C’est à l’issue d’un atelier d’écriture avec François Bon que celui-ci m’a dit : « Ce que tu as écrit, c’est un livre. »  De là, je me suis dit que j’allais chercher un éditeur.

Le moment était venu de sortir ce livre ?

A 45 ans, j’ai la maturité pour accepter. J’ai trouvé la distance suffisante. Plus de tabous pour me barrer la route. Dès que le livre est paru, ça été un apaisement pour moi. En écrivant, j’ai découvert la partie sombre de moi-même. Mais aussi le bout de moi qu’il me manquait.

Tout était bien enfoui…

A l’école, j’étais toujours super heureuse. Bonne élève, toujours partante pour des activités scolaires et extra-scolaires… Personne ne voyait le problème ; ni les autres élèves, ni mes profs. Et pour cause, le problème, c’était quand je rentrais à la maison… Jusqu’à ce que l’on s’enfuit, un jour où mon père n’était pas rentré.

C’était la fin du cauchemar…

En fait, tout a changé le jour de mes vingt ans. Le jour même où mon père a été condamné. A cet instant, je me suis dit que ça ne pourrait qu’aller mieux. Depuis, tout est simple. Je n’ai plus peur.

Et quid du spectre des enfants qui reproduisent la violence quand ils deviennent à leur tour parents ?

Ça m’a toujours révolté cette statistique qui me disait que les enfants maltraités deviennent maltraitants. Je ne voulais pas être une statistique ! Je me méfie beaucoup du concept de résilience mais je dois dire que j’ai découvert l’enfance – que je n’ai pas eue – avec mes enfants et que c’est merveilleux.

Aujourd’hui, est-ce une nouvelle étape qui commence ?

Alors que, longtemps, je ne pouvais pas lire des livres sur la maltraitance ou voir des films qui ne parlent ne serait-ce que de la prison, je peux l’envisager maintenant. Je suis capable d’être utile, d’agir aujourd’hui. J’arrive à un moment dans ma vie de femme où je suis prête même à partager mon vécu avec d’autres femmes.

Propos recueillis par Hervé Debruyne