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Lola Lafon : « l’écriture, c’est un dialogue »

Photo : Lynn S.K.

Veille à garder la bonne distance avec ce que tu traverseras… Ce conseil, Lola Lafon l’a reçu de son père. Elle ne l’a pas oublié lors de l’écriture de cet ouvrage, Il n’a jamais été trop tard, publié le 8 janvier 2025. Difficile de définir ce livre qui est à situer entre le journal intime, le carnet de bord, la suite de chroniques et l’essai. L’autrice porte là un regard sur des faits d’actualité des deux dernières années, entrecoupés de souvenirs. Tous ces événements ont été vécus collectivement. Comme le premier anniversaire de Femmes, Vie, Liberté, la mort de Nahel, les dernières élections européennes et législatives en France, le procès des viols de Mazan, le mouvement #MeToo, les conséquences d’un ultralibéralisme… Sans avancer des certitudes, Lola Lafon interroge les idées trop simples, les aveuglements et les impuissances politiques. Ce livre est un instantané d’une société en souffrance et en attente de « conjuguer le nous ». Entretien avec Lola Lafon qui sera présente pour une rencontre et une séance de dédicaces samedi 18 janvier à la bibliothèque Oscar-Niemeyer au Havre pendant le festival Le Goût des autres.

Vous commencez ce livre en rappelant toute l’importance de la danse dans votre vie. Quels liens faites-vous entre la danse et l’écriture ?

Ce sont deux activités qui nous placent face à nous-mêmes. Je ne les mets pas en concurrence. La danse et l’écriture nous mettent face à nos impossibilités et nos limites. Même si nous dansons toujours avec des gens, nous nous retrouvons face à une grande solitude dans l’apprentissage. Le miroir qui se dresse devant nous est là pour nous montrer ce qui ne va pas. C’est l’école de l’humilité. Comme la danse, l’écriture est une activité physique. Lorsque l’on représente un écrivain, il est toujours assis. Or, pour moi, il y a un engagement du corps, le souffle. Je suis attentive au rythme et à l’exactitude des mots.

Dans Il n’a jamais été trop tard, vous optez pour un découpage par saison. Pourquoi ?

Comme je n’étais pas fixée sur un sujet en particulier, j’ai choisi un événement par mois. Cela me semblait pertinent pour avoir une vision plus large. Ce qui m’intéressait était de savoir comment on se débrouille avec tous ces faits d’actualité dans le monde. Pour le coup, une saison est la bonne temporalité. En fait, chaque saison renvoie à une autre. Chaque printemps renvoie aux printemps précédents. Cela a un lien avec l’apprentissage du temps. C’est complètement différent lorsque l’on marque seulement une date sur un calendrier.

Comment les saisons vous influencent-elles ?

Nous ne faisons pas les choses de la même façon selon les saisons. Nous ne nous réveillons pas de la même manière parce que la lumière est différente. J’écris tous les matins à la même heure. En fait, je ne me suis jamais vraiment posé la question. Oui, les saisons doivent avoir une influence. L’été, les fenêtres sont ouvertes et nous sommes davantage plongés dans les bruits extérieurs.

Vous rappelez une phrase de votre père. Parvenez-vous toujours à garder la bonne distance lors de l’écriture ?

J’essaie. Je suis partie de là. C’est un mode d’emploi donné aux lectrices et aux lecteurs. Ce livre n’est pas le récit de mes opinions. Je trouve que l’on en entend beaucoup trop. De plus, une conversation avec deux opinions face à face devient deux monologues. Et, de là, nous n’en ressortons pas modifiés. Il y a un défi à accepter de se laisser modifier. Sommes-nous prêts à nous laisser modifier et trouver une position juste ? Par ailleurs, quand j’écris, j’ai besoin d’être à la bonne distance. Sinon, je ne vois plus rien.

Que pensez-vous des résultats d’une récente étude montrant qu’un nombre de plus en plus important de personnes s’abstenaient de s’informer pour préserver leur équilibre ?

Il y a plusieurs choses. Nous n’avons jamais été si informés. Et ce, en direct. Face à cela, nous mesurons notre impuissance. Ce sentiment est peut-être dû à une information trop conséquente et pas hiérarchisée. Face à un écran, vous pouvez entendre une information et en lire une seconde. Cela n’aide pas à l’analyse. Néanmoins, nous nous devons de savoir ce qui se passe avec les autres vivants. Nous pouvons aussi choisir de nous informer en parlant avec les autres. Il y a là une transmission.

D’où le pessimisme actif dont vous parlez.

Nous ne pouvons pas regarder le monde passer comme un film. Je suis inquiète. Je peux être pessimiste mais cela ne m’arrête pas, ne me paralyse pas.

Vous alternez les textes par des post-scriptum qui renvoient à des événements passés. Pourquoi ce choix ?

Cela a été une façon de remettre les choses à plat et de les partager. L’écriture, c’est un dialogue. Le plus important est de voir ce que nous avons en commun. Je livre parfois ce qui est personnel, des moments qui ont appartenu à mon adolescence. C’est comme lorsque vous vous retrouvez à un petit groupe dans une cuisine lors d’une soirée.

Pourquoi, selon vous, « l’écriture est sœur du silence » ?

L’écriture vient de ce qui n’a pas été dit. C’est un moment où on va chercher des échos, où on va sonder l’obscurité. Les mots sont comme des ricochets. Quand vous lisez un livre, il y a des phrases qui vous percutent et vous avez l’impression qu’elles ont été écrites pour vous.

Vous traversez plusieurs sujets, notamment le « féminisme light » qui ne répond plus aux urgences actuelles.

C’est un mouvement politique et le capitalisme a pu s’accommoder de certaines idées féministes pour en faire des slogans. Le féminisme ne peut pas être light quand il s’agit de réclamer des droits. Nous ne pouvons pas en faire une vision allégée ou superficielle.

Vous revenez justement sur ces discours qui rappellent la force des femmes.

J’ai voulu écrire un texte sur ce sujet. Il y a beaucoup de compliments faits aux femmes, sur leurs forces, leur solidité. Elles sont formidables, courageuses. Mais c’est une arme à double tranchant. Elles doivent tout encaisser. Or elles ont le droit d’être abattues et de ne pas être formidables.

À propos du combat pour les droits des femmes, des dernières élections, vous rappelez toute la valeur du nous.

Il y a une injonction à être un individu, soi-même. Ce sont des slogans sortis dans les années 1990. Or, tout est plus supportable quand nous formons un ensemble. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans un grand moment du nous. Ce qui compte, c’est l’individu.

Aviez-vous en tête la phrase de Margaret Thatcher : il n’y a pas de société, il y a des individus ?

Non, je n’ai pas pensé à elle. Cette phrase est représentative de l’ultra-libéralisme. Ce qui est terrible, c’est que c’est faux. L’ultra-libéralisme ne cajole pas l’individu. Il est cruel et terrifiant. En disant cela, Margaret Thatcher ne devait pas penser aux mineurs et aux caissières. Dans mon parcours, j’ai toujours préféré les activités qui permettent d’être quelqu’un d’autre. Comme la danse et l’écriture.

Infos pratiques

  • Samedi 18 janvier à 17 heures à la bibliothèque Oscar-Niemeyer au Havre. Gratuit. Réservation en ligne
  • Il n’a jamais été trop tard, Lola Lafon, Éditions Stock, 228 pages