Posture et imposture

Malaise au sein du bureau de l’Association des Victimes espagnoles de l’Holocauste qui doute du passé de leur ami et président Marco ( Eduard Fernández) / Photo : David Herran

Les réalisateurs espagnols Aitor Arregi et Jon Garaño se sont inspirés d’un fait réel pour mettre en scène Marco, l’énigme d’une vie, un film palpitant, à voir à partir de mercredi 14 mai au cinéma, qui en dit long sur la force du déni.

Les réalisateurs Aitor Arregi et Jon Garaño sont partis d’un fait réel pour mettre en scène Marco, l’énigme d’une vie. Ils reviennent sur une histoire qui a secoué l’Espagne en avril 2005, quand l’ancien déporté du camp de Flossenbürg, Enric Marco, président de l’Association des Déportés espagnols respecté de tous, a été démasqué par l’historien Benito Bermejo, spécialiste de la vie des républicains dans les camps nazis. Alors qu’il se préparait à prononcer le discours officiel de commémoration du soixantième anniversaire de la Libération du camp de Mauthausen, on apprend que l’homme n’a jamais mis les pieds à Flossenbürg, ni même dans aucun camp de concentration. Pire, dans le cadre de l’accord d’août 1941 entre Franco et Hitler, il s’était engagé comme  travailleur volontaire dans  une usine d’armement de Kiel muni d’un contrat de la Deutsche Werke… 

« Nous travaillons sur ce film depuis dix-huit ans, précise Jon Garaño, venu le présenter à Avignon à l’occasion des Rencontres du Sud. Au début, ce devait être un documentaire mais on n’a pas pu le faire, il s’est donc transformé en fiction. En parallèle de l’affaire, nous avions travaillé pendant un an avec Enric Marco, le vrai personnage du film, qui a finalement signé un contrat pour un documentaire avec une autre équipe. »

Un héros ?

Qu’à cela ne tienne, les deux réalisateurs s’obstinent et utilisent une quinzaine d’heures d’interview d’Enric Marco pour filmer leur Marco, un digne président de l’Association des Victimes espagnoles de l’Holocauste. Eduard Fernández est vraiment l’acteur idéal pour tenir ce rôle. Il fait en sorte que l’on aime ce petit homme rond et avenant. On compatit à ses mois passés dans les geôles allemandes. On adore l’écouter en parler en public et témoigner devant la jeune génération qui le considère en héros. On aime la bonhommie de ce héros, presque ordinaire, qui se montre très affecté par ce qu’il appelle une campagne de diffamation, et qui, au lieu de se terrer, multiplie les interventions dans les médias. 

De fait, on découvre Marco à quelques jours d’une commémoration où il doit faire un discours important, quand un historien conteste purement et simplement son passé d’ancien déporté. De quoi jeter un froid parmi tous ceux qui le secondent depuis des années à la tête de l’association. Les preuves s’accumulent mais Marco n’en démord pas : il était bien dans le camp de Flossenbürg. Il reste sur ses positions, se débat pour maintenir sa version et garder son poste.

S’approcher de la vérité

« Enric Marco avait créé un personnage fictif, pourquoi pas suivre ce chemin-là et, à notre tour, créer un personnage fictif, justifie Jon Garaño. D’autant plus qu’il était intéressant pour nous de poser des questions de représentation de la vérité, de l’exactitude et de la fiction dans une œuvre cinématographique. Il est bien question de ce qui nous occupe en ce moment : la vérité, la vraie fausse vérité, les fake news. Faire de la vie de Marco une fiction renvoie bel et bien à notre époque. »

Reste que dans l’évocation de l’Holocauste et des camps de  concentration, la fiction proposée par Aitor Arregi et Jon Garaño s’approche au plus près de la vérité et nous rappelle que quelque neuf mille Espagnols — la plupart s’étaient exilés en France pour fuir le régime de Franco — sont passés par les camps et que les deux tiers environ n’ont pas survécu. Un travail de mémoire toujours utile en cette année de commémoration des 80 ans de la Libération des camps.