Jul : « les humoristes sont des chats »

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Jul est connu pour son trait rond, ses personnages avec des gros yeux et surtout son humour corrosif. Le dessinateur, auteur de bandes dessinées, a trouvé dans la préhistoire et la mythologie un fabuleux terrain d’exploration pour parler des travers des êtres humains et des thématiques contemporaines. Il faut lire ou regarder Silex And The City et 50 Nuances de Grecs. Jul, ancien enseignant en histoire, poursuit également les aventures de Lucky Luke. Parrain de la 7e édition, il sera présent les 20 et 21 juin au festival cinématographique Les Yeux ouverts au Havre et à Montivilliers le temps d’une carte blanche pour parler des verts de l’humour et de projections de Silex And The City et de Dans Les Bottes de Lucky Luke. Entretien avec Jul.

Le festival Les Yeux ouverts vous donne carte blanche pour parler de votre passion pour le dessin et le cinéma. D’où vient-elle ?

D’une certaine façon, il y a un tempérament partagé avec beaucoup de personnes qui utilisent l’humour pour pallier l’anxiété et les angoisses. Il y a Goscinny, Gotlib… Toutes ont une vision du monde et leur travail permet de mettre à distance ces peurs. Sinon, celles-ci envahissent. C’est aussi une façon de se réapproprier les sujets d’actualité par le dessin.

Y a-t-il aussi vos lectures d’enfant ?

Oui, ces lectures d’enfant sont comme des baguettes magiques qui peuvent aider à traverser la vie. Comme disait Gébé, ce sont des « petits pas de côté ». Et ils sont très précieux.

Vous faites ce pas de côté notamment dans Silex And The City.

Cela se fait de plus en plus dans les dessins. Alors que nous sommes dans un système qui conseille d’éviter d’aborder les choses les plus douloureuses, comme les guerres, les violences sexuelles, les bouleversements climatiques… Il vaut mieux faire des blagues sur les maris et les amants. C’est vrai qu’il n’est pas simple de trouver une distance. Avec Silex And The City, je prends un recul de 40 000 ans.

Êtes-vous dans la politique-fiction ?

Oui mais ce n’est pas un concept que j’ai inventé. La Fontaine parlait de la monarchie, de la vie de cour, de l’Église et de l’État dans ses fables. Pour éviter d’être censuré ou de se retrouver en prison, il utilisait les objets et les animaux. Ce sont des filtres, des lentilles particulières pour observer le monde.

Dans vos épisodes, vous parvenez à percevoir quelques faits politiques.

Les humoristes sont des chats. Leurs moustaches permettent de percevoir certains faits, de capter l’air du temps et d’être vigilants. Il y a quelque chose de prophétique. C’est assez vertigineux.

Et dans Lucky Luke ?

C’est assez différent. Je n’ai jamais cassé le dispositif traditionnel. Nous sommes toujours dans le XIXe siècle. Il n’y a pas d’anachronisme ; contrairement à Silex And The City et 50 Nuances de Grecs. Je reste dans des grandes thématiques qui vont advenir au XXe siècle, comme les premiers végétariens, les nouvelles technologies, les enjeux économiques, sociaux et raciaux. J’aborde des sujets familiers pour comprendre aujourd’hui. 

Dans vos bandes dessinées, vous avez la volonté de rester universel.

J’aime parler à tout le monde. Je revendique cette dimension populaire. Même s’il peut y avoir un petit côté intello. Je suis un ancien prof d’histoire. Je pense que tout le monde s’y retrouve.

Les enfants, aussi.

Il est important d’éduquer les enfants à l’humour et à l’ironie. Cela donne un ciment merveilleux qui permet de nous construire.

Votre version de La Belle et la bête a été rejetée par le ministère de l’Éducation. Y a-t-il une façon de s’adresser aux enfants ?

Il y a mille façons de s’adresser aux enfants. Je me mets dans l’héritage d’auteurs tels que Goscinny, Tomi Ungerer… Dans les bandes dessinées, on peut voir des gangsters, comme les Dalton qui braquent des banques. Tomi Ungerer a écrit Les Trois Brigands et on les voit sur des tonneaux. Dans Tintin, on voit aussi le capitaine Haddock boire beaucoup. La Belle et la bête est un rendez-vous manqué. C’est dommage à un moment où les jeunes se détournent des livres. C’est aussi dommage que l’on ne fasse pas confiance à l’intelligence des gens.

Infos pratiques

  • Vendredi 20 juin à 18 heures au Studio au Havre : projection de Silex And The City en présence de Jul. Durée : 1h17. À partir de 7 ans. Tarifs : 5,50 €, 3,20 €
  • Vendredi 20 juin à 20h30 aux Arts à Montivilliers : carte blanche à Jul. Tarifs : 5,90 €, 4,20 €
  • Samedi 21 juin à 16 heures au Studio au Havre : projection de Dans Les Bottes de Lucky Luke en présence de Jul. Durée : 52 minutes

Les Yeux grand ouverts

L’écologie est le thème de la 7e édition des Yeux ouverts, festival de cinéma qui se tient du 10 au 22 juin au Havre et à Montivilliers et s’adresse au jeune public. Au programme : des courts et des longs métrages comme Rose petite fée des fleurs de Karla Not Holmbäck, Sauvage de Claude Barras, La Ruée vers l’or de Chaplin, Ponyo sur la falaise de Hayao Miyazaki, Le Peuple loup de Tomm Moore et Ross Stewart… Des enfants, réunis dans deux jurys, sont également invités à voter pour leur court métrage préféré. Les Yeux ouverts, ce sont aussi des rencontres avec des professionnels du cinéma, des ateliers pour découvrir le stop-motion et pour créer des animations avec de la pâte à modeler et du papier découpé.