Olivier de Sagazan : “à la fin, je suis dans un état second”

Photo : Henri de Rusunan

D’où viennent les mots quand une situation extérieure empêche une personne de réfléchir ? Olivier de Sagazan s’interroge lors de ce spectacle, Il nous est arrivé quelque chose. Le performeur, également plasticien et biologiste, le fait en plongeant son corps, relié à des capteurs, dans un grand tube à essai rempli d’eau. Il se place à la fois en tant qu’observateur et sujet d’une expérience. Pendant cinquante minutes, Olivier de Sagazan court tout en surveillant l’état physiologique de son corps les 11 et 12 avril au théâtre de La Foudre à Petit-Quevilly avec le CDN de Normandie-Rouen. Entretien.

Est-ce que la course est une activité régulière pour vous ?

Oui, bien sûr. C’est même une drogue que j’ai depuis mes 20 ans. Je cours pratiquement tous les jours pendant une demi-heure. Certains sortent leur chien, moi, je cours et je ne fais pas ça pour me maintenir en forme. Cette course, c’est un moment de méditation qui me permet de mettre en ordre des idées qui me rongent. Je vois dans la course une forme de danse dans ce déséquilibre créé lorsque l’on passe d’un pied à un autre, notamment en forêt ou sur le sable. Une petite musique apparaît aussi. On a ainsi un petit orchestre avec soi.

Dans ce spectacle, vous courez sur place.

Je me suis demandé comment je pouvais mettre en scène cette course que j’aime tant. J’avais pensé à une roue et je me transformais en un rat de laboratoire. Mais c’était trop dangereux. Je suis alors retourné à mes premières amours, la biologie, et aux tubes à essai pour voir ce qu’il se passait à l’intérieur.

Dans un tube à essai, le résultat d’une expérience est le plus souvent imprévisible.

C’est ce qui m’intéressait. Chaque représentation est une découverte parce que je réagis de manière différente. Pour les spectacles, j’ai toujours cherché les moyens d’amplifier ma présence sur scène. Cette fois, j’utilise la langue. Je veux faire venir les mots de manière libre. Comme si j’étais dans un rêve la nuit.

Le mouvement entraine-t-il toujours la parole ?

Complètement, les deux s’entrainent. La marche met le corps en branle et aide à faire venir les mots. Quand on court, c’est incroyable, tous ces mots qui viennent. C’est une affaire de survie. Ce qui m’intéresse également, c’est la différence entre les mots qui me permettent de construire ma pensée et ceux que j’appelle lors de l’effort.

Pendant le spectacle, vous n’avez pas conscience des mots que vous prononcez.

Je suis incapable d’expliquer le processus. C’est la même chose lorsque vous expliquez un rêve. Par exemple, j’étais sur une trottinette avec untel à tel endroit et nous avons croisé une chèvre. Pourquoi une trottinette et une chèvre ? Je ne sais pas. Au début du spectacle, c’est laborieux. Il y a un échauffement, puis une histoire se construit, se raconte.

Comment gérez-vous la respiration ?

C’est très haletant. Il m’arrive de m’arrêter pour reprendre mon souffle. Il y a la fatigue, l’épuisement. Je suis dépassé par quelque chose. C’est le propre de la performance. Je mets là la vie entre parenthèses pour l’étudier.

Comment vous sentez-vous à la fin du spectacle ?

Je suis dans un état de modification de conscience et je ne me souviens pas de ce qui s’est passé. Je n’ai aucun souvenir. À la fin, je suis dans un état second, dans une transe qui est certes contenue. Je recherche cet état afin qu’apparaisse quelque chose qui est fortement ancré en moi.

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