Pas de dialogue, pas de mouvement de caméra et une seule prise : ce sont les contraintes que s’est imposées Andy Lambert lors de l’écriture et le tournage de la série MUTE. Les très courts métrages sont d’excellents moments remplis d’absurdité. Le réalisateur dépeint avec un humour très anglais les travers des êtres humains. Il sera vendredi 22 novembre au cinéma Omnia à Rouen pendant le festival This is England pour présenter MUTE. Entretien.
Comment est née cette série, MUTE ?
La série a commencé par hasard Je réalisais des publicités télévisées pour gagner ma vie et j’étais en tournage à Barcelone. Le dernier jour, nous avions fini plus tôt. Comme il nous restait encore une heure et demie, j’ai dit : pourquoi ne pas faire un court métrage ? Tout le monde pensait que je plaisantais. Mais non. J’ai commencé à regarder autour de moi ce qui était à notre disposition. Il y avait une fanfare dans cette publicité et l’accessoire le plus impressionnant était un tuba sousaphone. Face à cet instrument, j’ai eu une idée. Les acteurs et l’équipe se sont mis dans l’ambiance et nous avons eu juste le temps de tourner deux prises. Plus tard, je l’ai appelé Tuba ou pas du tuba. Nous n’avons pas eu accès au matériel sonore. Donc pas de dialogue. Je ne pouvais pas non plus déplacer la caméra. Donc un plan fixe. Par le plus grand des hasards, j’ai eu à nouveau du temps à l’issue d’un nouveau tournage publicitaire. Il est très rare que cela se produise. Encore une fois, je n’avais aucun preneur de son disponible et je n’avais pas assez de temps pour faire plus d’un plan. Maintenant, j’avais deux films. Les deux duraient environ 2 minutes. Non seulement je n’avais pas l’intention de faire ces films au départ, mais je n’avais pas non plus l’intention de les faire dans le même style. Et pourtant les voilà, deux courts métrages bridés par des contraintes identiques. Il m’est soudain venu à l’esprit que ces contraintes n’étaient pas des compromis. Au contraire, il s’agissait en fait de « règles ». C’était, je suppose, un « heureux accident », une façon d’embrasser l’esthétique de la nécessité.
Vous vous êtes imposé ces trois contraintes. Comment ont-elle changé votre manière d’écrire ?
Orson Welles a dit un jour : « l’ennemi de l’art est l’absence de limites ». Avec MUTE, j’ai poussé cette notion à l’extrême. Je pense qu’au plus profond de mon inconscient, je me préparais d’une manière ou d’une autre à adopter une pratique cinématographique fondée sur des règles. Mais ce que j’aime, c’est que ces règles nécessitent un retour aux sources du cinéma. Il y a une simplicité qui séduit, rappelant presque les pionniers du cinéma muet. Tout doit être visuel, ce qui, selon moi, est l’essence même du cinéma. Même si les effets sonores sont également très importants dans MUTE. Les règles créent un « lien cinématographique » qui me met continuellement au défi d’imaginer des solutions innovantes, repoussant les frontières conventionnelles. Je trouve donc qu’au lieu de m’enfermer, elles ont paradoxalement libéré mon expression artistique.
Y a-t-il un lien entre l’écriture de la série et celle des spots publicitaires ?
À bien des égards, la série MUTE est un antidote au travail dans la publicité. La plupart des publicités que j’ai réalisées sont coupées toutes les deux secondes et présentent de nombreux plans dynamiques et en mouvement qui sont probablement plus compliqués qu’ils ne devraient l’être. La simplicité de MUTE est à l’opposé de cela. Je dirais aussi que, même si MUTE est basé sur la narration, les publicités en général s’intéressent de moins en moins à la narration, ce qui est dommage. Bien sûr, j’ai réalisé de nombreuses publicités sans dialogue, mais, malgré cela, elles ont généralement un slogan de fin qui « explique » souvent l’histoire ou se termine par une « punchline ». MUTE n’a pas ce luxe. Le dénouement doit fonctionner visuellement. Mais en ce qui concerne le fait d’être concis et de présenter un début, un milieu et une fin dans un laps de temps très court, il existe un lien avec la publicité, ou du moins un peu de publicité. Les anciennes publicités télévisées du cinéaste suédois Roy Andersson ressemblent assez à MUTE.
MUTE est une série de comédies sur les failles des êtres humains. Est-ce que vous aimez observer les gens ?
Les idées de chaque film proviennent de diverses sources. L’une d’elles, bien sûr, consiste à observer les gens dans le monde réel. L’un des nouveaux films, Stop, a été inspiré par le fait que je fais beaucoup de vélo à Londres, où je vis. Je vis presque quotidiennement la « bataille de la route » entre automobilistes et cyclistes. Dress Code est né de l’observation de gens sur la plage qui préfèrent se plier en quatre plutôt que d’exposer leur corps déshabillé, même lorsqu’il n’y a personne autour. L’idée de The Gents est venue quand j’étais dans une file d’attente à l’aéroport et que le gars en face de moi avait des pellicules et j’ai soudain pensé que les pellicules avaient une similitude physique avec une certaine substance narcotique illégale ! Mais je suis aussi assez influencé par la photographie de rue, qui est un excellent médium pour rendre le quotidien étrange, et je m’inspire même parfois des rêves.
Est-ce que la série est aussi une occasion pour vous d’aborder divers sujets ?
Je suis toujours à la recherche d’intrigues qui résonnent au-delà du décor. Les films doivent capturer une sorte de sentiment ou d’émotion. Quelqu’un sur Vimeo n’arrêtait pas de me répéter que les premiers films MUTE traitaient de sujets bien connus en psychologie sociale. Ce n’était pas mon intention, mais c’est agréable de savoir que les films parlent de quelque chose de plus que ce qu’ils devaient représenter. J’ai aussi délibérément multiplié les scénarios avec du surréaliste dans Rule of Thumb ou du banal dans Goal Attainment. J’aime le contraste que cela crée. Je suis généralement attiré par l’absurdité, la futilité, la pression du conformisme, l’indifférence, le désir irrationnel, la poésie du perdant… La mort a même été source d’humour dans deux ou trois des films. J’aime penser que les films de MUTE ont un effet cumulatif, chacun se complétant et le valorisant, créant un monde étrange mais cohérent.
Jouez-vous sur les attentes du public dans votre écriture ?
L’absence de dialogue permet de jouer avec les attentes des gens. Je pense qu’après 10 secondes sans dialogue, et sans coupure, les téléspectateurs ne pensent plus qu’il y a quelque chose d’étrange. Mais ensuite, après 20 secondes, 30 secondes, 60 secondes et plus… ils réalisent soudain que personne ne va parler et commencent à regarder différemment. Ainsi, même s’ils sont courts, les films sont comme « à combustion lente ». Pour moi, cela ajoute un humour et un charme. J’aime que les films soient drôles ou surprenants. C’est pourquoi j’essaie toujours d’avoir un développement inattendu vers la fin de chaque film. Conformément à l’esthétique de MUTE, cela se fait toujours d’une manière discrète et impassible.
Qu’aimez-vous dans le format court au cinéma ?
Les films deviennent tous trop longs aujourd’hui. Même les comédies musicales durent trois heures désormais ! Les courts métrages peuvent être un excellent contrepoids à cette forme de narration gonflée et trop indulgente. Ils sont agréablement compacts et offrent la promesse de voir le monde à travers une perspective cinématographique différente. Le problème avec eux est que personne n’a réussi à trouver comment les monétiser, ils se retrouvent donc toujours dans un no man’s land économique. Cela n’empêche pas que des milliers de films se réalisent chaque année. Je pense donc qu’il est plus impératif que jamais de réaliser des courts métrages qui se démarquent et diffèrent d’une manière ou d’une autre de la norme. J’ai évidemment essayé de le faire avec l’esthétique basée sur les règles de la série MUTE, mais je pense aussi qu’en réalisant une série de courts métrages, ils acquièrent également une dimension différente. La plupart des séries télévisées ont une continuité de personnages et de narration, mais avec la série MUTE, tous les scénarios ont un décor différent et tous mettent en scène de nouveaux personnages, il n’y a donc en réalité qu’une continuité d’ambiance. Ainsi, aborder la notion de série de manière non conventionnelle est une autre manière de se démarquer dans le vaste océan des courts métrages ! Cela dit, j’essaie en fait de faire un long métrage qui s’inspire de la série MUTE, dans le sens où il n’y a aucun dialogue. Il s’agira d’une comédie absurde composée de plusieurs histoires qui s’entrecroisent vaguement et, comme elle n’aura aucun dialogue, elle ne devra pas nécessairement « provenir » d’un pays en particulier.
Infos pratiques
- Vendredi 22 novembre à 18 heures au cinéma Omnia à Rouen
- Entrée gratuite
- Aller au cinéma en transport en commun avec le réseau Astuce