Valérie Lesort et Christian Hecq de la Comédie-Française ont un univers très singulier. Ils dressent des portraits de personnages aux parcours cabossés dans des ambiances fantastiques. Dans cette nouvelle création, ils se sont intéressés à Daisy et Violet Hilton, deux sœurs siamoises (1908-1969) liées au bas de la colonne vertébrale. Nées à Brighton, elles ont été abandonnées, puis adoptées non pas pour être sauvées et recueillies mais être transformées en bêtes de scène. Elles deviendront des vedettes de music-hall avant de terminer leur vie dans la misère. Valérie Lesort et Christian Hecq ont créé un univers forain pour raconter l’histoire de ces deux femmes. Le spectacle, Les Sœurs Hilton, est à voir les 2 et 3 décembre au Cadran à Évreux avec Le Tangram et du 8 au 10 janvier au Volcan au Havre.
Dans vos précédents spectacles, vous vous êtes emparés d’histoires fantastiques. Cette fois, vous racontez la vie de deux femmes, les sœurs Hilton, qui ont bien existé. Pourquoi ?
Valérie Lesort : l’histoire de ces deux sœurs reste fantastique. Elle génère le magique. Il y a quelque chose de visuel qui se joue dans le corps de ces femmes. Je pense que nous ne sommes pas loin de ce que nous avons déjà proposé. Ce spectacle est né parce que l’on me dit souvent que Céline Milliat-Baumgartner et moi nous ressemblons. J’ai pensé : et si on jouait deux sœurs ! Nous tournions autour du film Freaks et ces jumelles nous sont apparues. Nous avons trouvé une biographie qui est un gros pavé très mal écrit. L’histoire des sœurs Hilton parle du handicap, de personnes abandonnées, exploitées et vues comme des monstres. C’est devenu pour nous un terrain de jeu génial.
Vos spectacles sont peuplés de montres.
Christian Hecq : cela se fait de manière naturelle. Nous sommes davantage attirés par les personnes hors norme.
Valérie Lesort : Les monstres sont fascinants. Ce sont des êtres à qui on n’ose pas parler. Soit ils nous font peur, soit on se moque d’eux.
Christian Hecq : il y a cette question qui revient toujours notamment au sujet des sœurs Hilton. Est-ce que c’était mieux avant ? À une époque, ces personnes faisaient des spectacles. Elles étaient entre elles. Aujourd’hui, il est malaisant de les exposer.
Valérie Lesort : il y a toujours plus de choses à raconter, à dire et à jouer sur ces personnes. Quel que soit le défaut, physique ou mental. J’ai été confrontée au handicap dans ma jeunesse. Nous avons d’ailleurs tous des défauts à des degrés différents. S’y intéresser, c’est mettre une loupe sur notre humanité.
Christian Hecq : les difficultés sont passionnantes. Quand une partie de notre corps ne fonctionne plus, nous la compensons avec tout ce qui reste valide. Mentalement, nous faisons pareil.
Était-il évident pour vous d’imaginer un univers de cirque aux sœurs Hilton ?
Christian Hecq : nous avons une attirance pour le cirque. Nous aimons sa vitalité. Valérie a eu cette idée dès le début, à la genèse du projet.
Valérie Lesort : oui, il y avait une certaine logique. J’avais envie d’une esthétique forte. Avec une telle histoire, il est impossible de tomber dans le misérabilisme.
Christian Hecq : et le cirque, c’était une passion pour les sœurs Hilton. Le cirque, avec son décor, son orchestre, sa musique.
Avez-vous conçu le spectacle avec une suite de numéros ?
Valérie Lesort : ce cirque, c’est notre boîte à malices, une boîte à jouer.
Christian Hecq : il y a deux niveaux de jeu avec des numéros de cabaret, joués par les sœurs Hilton, et le théâtre des garçons, pour raconter la vie des jumelles.
Yann Frisch complète la distribution. Pourquoi avez-vous choisi cet artiste qui a un rapport singulier à la magie ?
Christian Hecq : au départ, je devais jouer tous les personnages que les deux sœurs ont rencontrés pendant leur vie. Valérie s’est rendu compte que cela allait être très compliqué. Le rythme était impossible à tenir techniquement avec les changements de costume. L’idée d’un autre artiste est venue après. Il y a donc deux garçons dans le spectacle.
Valérie Lesort : Yann Frisch avait envie de jouer autre chose, de faire une pause dans ses créations. Là, il est plus comédien que magicien.
Valérie Lesort, vous êtes collée à Céline Milliat-Baumgartner durant toute la durée du spectacle. Comment avez-vous appréhendé ensemble le jeu ?
Christian Hecq : c’est très compliqué pour elles. C’est un travail qui demande beaucoup d’humilité. Il faut accepter d’être une seule personne.
Valérie Lesort : nous devons être ensemble tout en trouvant des personnalités différentes. C’est hyper intéressant à jouer. Mais ça fait mal au dos. Nous ne pouvons pas bouger comme nous le souhaitons et nous avons douze changements de costume. En fait, nous avons appris à respirer et à marcher ensemble. Céline est une copine depuis longtemps. Ce qui est beau, c’est que l’une peut ressentir ce que l’autre ressent. C’est la même chose lors des fous rires. Nous sommes soudées. Au fil du travail, nous avons compris pourquoi les deux sœurs Hilton ne voulaient pas être séparées. Nous sommes vraiment entrées dans la vie de ces femmes.
Christian Hecq : les sœurs Hilton étaient siamoises mais tous leurs organes vitaux étaient séparées. Elles étaient donc séparables. Mais elle ont toujours refusé.
Avec ce spectacle, avez-vous souhaité leur rendre un hommage ?
Valérie Lesort : oui, c’est un hommage et bien plus que je ne pensais. Quand on écrit un spectacle, on a avant tout envie de créer des formes généreuses, belles. Nous n’avons jamais voulu transmettre des messages politiques ou revendiquer des idées. Les thèmes que nous choisissons sont proches de la vie, de l’enfance… Il y a bien sûr de la colère face aux injustices du monde. À la fin de la phase de création, nous nous rendons compte que l’on finit toujours par dire pas mal de choses. Oui, c’est un hommage et pourtant ce n’était pas une volonté au départ.
Christian Hecq : quand un spectacle est en naissance, nous ne pensons pas à tout cela. Avant tout, nous nous demandons : qu’est-ce qui nous amuse ? C’est après que nous décortiquons tout.
Valérie Lesort : j’écris pour raconter une histoire. J’écris pour Christian qui est une sorte de muse pour moi. Je sais ce qui lui ira bien. Je sais aussi que mon écriture n’est pas assez forte pour raconter une histoire sans effets visuels. C’est d’abord un prétexte à créer des images.
Infos pratiques
- Lundi 2 et mardi 3 décembre à 20 heures au Cadran à Évreux. Tarifs : de 25 à 10 €. Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com
- Mardi 8 janvier à 19 heures, jeudi 9 janvier à 20 heures, vendredi 10 janvier à 19 heures au Volcan au Havre. Tarifs : de 35 à 5 €. Réservation au 02 35 19 10 20 ou sur www.levolcan.com
- Durée : 1h45
- Des places sont à gagner pour les représentation du jeudi 9 et vendredi 10 janvier.