Michel Leclerc : « oui, je me moque mais avec tendresse et empathie »

Michel Lelerc s’est donné un rôle de réalisateur dans son film : «  Je voulais parler de la peur des hommes d’être accusés faussement par des femmes » / Photo : Stéphanie Branchu

Michel Leclerc aime les gens. On le sait depuis que l’on a découvert sa comédie romantique, Le Nom des gens, Prix du public au Festival du Film romantique de Cabourg, Valois de la mise en scène au Festival du film francophone d’Angoulême, César du Meilleur scénario… Depuis, il ne cesse d’écrire avec sa co-scénariste Baya Kasmi — dont on a beaucoup aimé le dernier film Mikado, encore sur les écrans — et de réaliser des films sur la complexité du genre humain : La Vie très privée de Monsieur Sim, La Lutte des classes, Les Goûts et les couleurs.  Aujourd’hui, tous les débats déversés par la vague #MeToo lui ont inspiré Le Mélange des genres, une comédie chorale grinçante qui pourrait dérouter tous ceux qui ne connaissent pas son cinéma. 

Michel Leclerc slalome entre un panel de personnages tous plus drôles et plus touchants les uns que les autres qui entourent deux héros que tout oppose :  Simone (Léa Drucker), une flic plutôt conservatrice, et Paul, acteur marié à une star du théâtre, plus souvent père au foyer que sur scène. L’homme doux, déconstruit assumé, finira par croiser la femme forte et énergique… Doit-on s’attendre à des étincelles ?

Et le réalisateur ne manque pas d’imagination puisque sa Simone qui enquête sur les Hardies, les croyant complices de meurtre, va évoluer au contact de ces femmes abimées par la vie et que personne ne prend au sérieux. C’est alors que la situation devient ubuesque : soupçonnée d’être une taupe, la flic se voit contrainte de désigner le premier venu comme étant son violeur. Et le premier venu, c’est Paul… 

Michel Leclerc, de passage à Rouen, répond à nos questions.

Pour commencer, pouvez nous dire si vous vous considérez comme un homme déconstruit ?

(Rire…) Je ne répondrai pas totalement oui mais je dirais que ce que je voulais exprimer en faisant ce film, c’est que, même pour quelqu’un de ma génération, je n’avais pas, comme modèle à l’adolescence, des hommes virils à la Stalone mais plutôt des hommes qui, s’ils n’étaient pas déconstruits, exprimaient une certaine fragilité à la Michel Berger ou Alain Souchon… On en fait beaucoup une question de génération mais j’ai l’impression d’avoir grandi avec, déjà, dans l’idée de cette remise en question de ce qu’est la virilité par rapport à la génération de mes parents. Alors oui, moi j’ai l’impression d’être déconstruit mais il faut interroger les femmes autour de moi qui diraient peut-être : « Mais pas du tout… » En tout cas, j’aime faire la cuisine, j’aime les fleurs, j’aime Vincent Delerm… » (Rire)

Si on ne connaissait pas votre cinéma, on se demanderait si vous n’êtes pas en train de vous moquer des flics machos, des hommes déconstruits, des féministes enragées…

Je fais des comédies alors forcément, à un moment donné, on rit des défauts des gens plutôt que de leurs qualités. Alors oui, je me moque, mais avec tendresse et empathie, sans méchanceté. Après, je ne peux pas contrôler ni mesurer la réaction des spectateurs mais je pense que chacun pourra s’identifier à tel ou tel personnage. Libre à chacun d’interpréter le film comme il le veut, d’ailleurs, il donne plusieurs points de vue.

Et pourquoi un sujet aussi sensible que le mouvement #MeToo? 

 J’ai envie d’empoigner les sujets qui me traversent et qui traversent la société. Et avec ce film, on est en plein dedans. Alors oui, il y a un risque à aborder le sujet #MeToo aujourd’hui mais justement, parce qu’il y a un risque, j’ai l’impression que c’est le rôle de la fiction de plonger dedans.

C’est ce qui vous pousse à faire un film ?

Moi, je fais des films parce que j’ai du mal à savoir ce que je pense d’un sujet. Donc je passe par toute sorte de personnages qui ont des pensées différentes et ça m’éclaircit un peu la tête. C’est pour ça que, dès le départ, je fais en sorte de créer des débats à l’intérieur du dispositif du film.

La flic Simone (Léa Drucker) manifeste au côté du collectif féministe qu’elle a infiltré / Photo : Stéphanie Branchu

Parmi les sujets abordés, le plus grave concerne la parole des femmes qui n’est pas entendue lorsqu’elles viennent porter plainte. Peut-on en parler aujourd’hui, maintenant que la situation semble évoluer dans le bon sens ?

C’était important pour moi de parler de ce moment qu’on est en train de vivre où la parole des femmes se libèrent, où on se rend tous compte de l’ampleur des agressions. C’était important d’en parler et j’espère qu’on perçoit que l’on en parle de façon sérieuse. 

C’est certain…

En même temps, je suis un homme — et qui plus est un réalisateur souvent sous les feux des projecteurs ces temps-ci — et je voulais que le film parle aussi des hommes et éventuellement de la peur que peuvent ressentir certains. J’entends bien qu’elle n’est pas du tout à la hauteur de la celle des femmes, mais j’essaie de dire que la peur n’est pas forcément liée au risque. 

C’est-à-dire

Par exemple, la peur des hommes d’être accusés faussement par des femmes… C’est très peu probable mais ça ne veut pas dire que la peur n’existe pas. Ce n’est peut-être pas très important mais j’avais envie de parler de ce sentiment que peuvent vivre les hommes.

Comme dans le film d’André Cayatte en 1967, Les Risques du métier 

C’est vrai. Aujourd’hui, c’est un peu le sens inverse. Mais je trouve qu’il est important que les hommes aussi s’emparent de ce sujet. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai voulu écrire ce film tout seul.

Parce que Baya Kasmi qui a écrit vos films avec vous, n’était pas de la partie ?

Ça a été très compliqué. L’écriture de ce film est particulière par rapport aux autres. À l’origine du projet, il y a eu beaucoup, beaucoup de discussions, voire des disputes entre nous sur ce sujet et j’ai fini par dire à Baya que j’avais envie d’exprimer un point de vue masculin, enfin pas masculin, mais en tout cas le mien. J’avais l’impression de devoir l’écrire seul. J’ai donc d’abord écrit un scénario sans elle, et évidemment, à un moment j’ai eu besoin d’elle parce que je me sentais bloqué et elle est revenue à la fin de l’écriture.

Et vous a-t-elle a freiné dans vos élans ?

« Non, en général, c’est Baya qui me pousse toujours à aller plus loin.  Par exemple, c’est elle qui voulait que Simone se comporte comme un mec, comme une femme qui se sent bien mieux au milieu d’hommes du commissariat qu’avec les femmes des Hardies. 

Tous les acteurs ont-ils adhéré immédiatement ?

Oui, d’ailleurs ils étaient heureux de s’emparer de ce sujet, d’en faire de la comédie et de créer du débat. Ils ont accepté aussi cette petite part de risque qu’il y a de faire rire avec un tel sujet sans doute parce que le film dit quelque chose sur le rapport entre les hommes est les femmes aujourd’hui et essaie de réfléchir à ce que pourraient être ces rapports à l’avenir.