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Boris Charmatz : « chaque geste est un marqueur du temps »

10 000 Gestes ! Pas un de plus. Pas un de moins. Boris Charmatz ne se facilite pas la tâche puisque le geste est unique et ne se répète pas. Le danseur et chorégraphe s’est ainsi lancé un véritable défi dans cette pièce présentée mardi 4 février à l’Opéra de Rouen Normandie avec le Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray. 10 000 Gestes est un flux gestuel ininterrompu sur le Requiem de Mozart où se mêle une multitude d’états, de sensations, de vibrations produite dans une urgence par une communauté vivante. Entretien avec Boris Charmatz.

Quelle différence faites-vous entre le geste et le mouvement ?

Je n’aime pas beaucoup les définitions. Cependant, on parle davantage de gestes humains alors que le mouvement est plus général, lié à un contexte historique, social. Le geste est motivé. Il résulte d’une volonté de faire quelque chose. C’est une image, une idée, une position, une tentative, un essai… Le geste peut être très long. Dans la pièce, 10 000 Gestes, nous les faisons très rapidement.

Vous avez souhaité que le geste soit éphémère.

C’est toujours ce que l’on dit de la danse. Et je lutte contre cela. Une pièce se danse et se danse encore. Chaque geste est unique. Quand il est passé, il disparaît. Toute la question est de savoir où commence et s’arrête le geste. Si un danseur respire, est-ce un geste ? S’il fait un pas, est-ce un geste aussi ? Pour cette création, nous sommes allés à l’endroit du corps, vers les sensations. Nous jouons ainsi avec cette sensation de l’éphémère.

Est-ce que cela rend davantage vivant ?

C’est tout le paradoxe. Nous sommes vivants parce que nous faisons des gestes, nous bougeons. Or, chaque geste nous rapproche de notre fin. Il est un marqueur du temps. Cette pièce, 10 000 Gestes, joue sur les deux tableaux. Elle a un esprit vivant et est un cimetière des gestes. C’est comme si on les enterrait. Pour un chorégraphe, ce n’est pas rassurant. Quand on écrit une chorégraphie, on a une signature, son répertoire de figures, de postures. Le principe est de faire art avec tout cela. C’est une quête impossible.

Est-ce que vous hiérarchisez les gestes ?

Non, ils ne sont pas hiérarchisés. J’ai commencé à écrire cette pièce avec une vingtaine de gestes. Dans un second temps, nous en avions une cinquantaine. Tous ont été mis à plat. Chaque spectateur ne verra pas le même spectacle puisque les gestes sont uniques. Il se fait son propre chemin puisqu’il ne peut pas tout voir. Quant aux gestes peu visibles, nous avons essayé de les souligner, de faire du vide autour.

Qu’est-ce qui lie ces 10 000 gestes ?

Cela s’est fait presque au jour le jour. On savait que la pièce allait être physique. Au départ, on avait 25 gestes de presque rien. Mais 25 gestes que vous multipliez par vingt danseurs, cela fait une très longue pièce. Nous avons ajouté d’autres gestes, ceux-là historiques, politiques… À des situations, chaque danseur cherchait des réponses possibles. Nous avons ensuite développé des gestes plus empiriques, plus organiques. Nous allons dans le public. Dans la salle, il y a toujours des sacs, des bonnets, des parapluies… La dramaturgie s’est construite au fil des répétitions. Même si chaque danseur effectue un geste unique et en solo, cette pièce est une véritable aventure collective. Nous sommes dans un univers contemporain. Aujourd’hui, le monde va trop vite. 10 000 Gestes se situe à cet endroit. On plonge dans cette masse avec ces héros. On est face à une collectivité faite d’une multitude de tentatives individuelles.

Infos pratiques

  • Mardi 3 février à 20 heures au Théâtre des Arts à Rouen.
  • Tarifs : de 32 à 10 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 35 98 74 78 ou sur www.operaderouen.fr