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En « Plein air » devant son écran

L’exposition devait se tenir du 27 mars au 28 juin. Avec l’arrivée du coronavirus, le musée des impressionnismes à Giverny propose de découvrir en ligne Plein Air. De Corot à Monet. Une visite virtuelle en forme de cinq parcours, partant de l’Italie, en 1780 avec quelques esquisses et le mouvement des macchioli, jusqu’en France en passant par l’Angleterre, à travers une centaine d’œuvres. Toutes racontent cette évolution dans le monde pictural, notamment la pratique de la peinture en plein air, jusqu’à l’avènement de l’impressionnisme, entre 1860 et 1874, et cette captation si singulière de la lumière. Corot, Turner, Degas, Manet, Boudin, Signorini, De Nitis, Abbati, Monet, tous des peintres très connus, font du paysage leur motif favori. Entretien avec Marina Ferretti, commissaire de l’exposition, Plein Air. De Corot à Monet.

Marina Ferreti © Patrice Schmidt

Pourquoi la pratique en plein air est-elle le fruit d’un long processus ? Est-ce seulement un problème matériel ?

Il s’agit certainement d’une question pratique. Longtemps, le matériel des peintres n’était pas adapté au déplacement. Les chevalets étaient encombrants, les couleurs préparées en tube n’existaient pas encore et il fallait les préparer pour les transporter dans des vessies de porc. Nous savons cependant qu’un peintre comme Jean-François Desportes peint des esquisses depuis une terrasse par exemple. L’exemple reste cependant très isolé et les artistes du XVIIe siècle, comme Poussin ou Le Lorrain, préfèrent dessiner quand ils observent la nature. Mais l’évolution du regard porté sur la nature est aussi et surtout une affaire de sensibilité. Le goût de la nature se développe à la fin du XVIIIe siècle, une sensibilité moderne qui s’affirme au XIXe siècle, épris de science et de vérité.

Pourquoi avez-vous retenu un découpage géographique pour cette exposition ?

Il m’a paru intéressant de montrer que le mouvement se diffuse quasi simultanément dans l’ensemble des pays européens. Surtout en cette période où l’idée d’une union européenne est bousculée, en plein Brexit. À l’époque qui nous intéresse, de 1780 à 1874, les différentes nations vivent des situations historiques, économiques et culturelles contrastées. Je pense à l’Angleterre par exemple, qui connaît une industrialisation précoce et qui est isolée par les guerres napoléonienne et le blocus. Ou encore à l’Italie dont le très riche passé artistique pèse sur les générations nouvelles en imposant ses traditions.     

« Paris est certainement la capitale des arts »

Est-ce que les artistes abordent la nature de manière différente dans ces pays ?

Le climat n’est pas le même partout. La lumière plus stable d’Italie favorise des séances de travail plus longues et il n’est pas surprenant que la pratique du travail en plein air se développe d’abord à Rome et à Naples. Elle y est le fait de peintres venus de l’Europe entière pour compléter leur formation artistique. Ils accumulent alors les esquisses destinées à servir de documentation pour leurs travaux futurs. En revanche, les cieux plus changeants de Normandie ou d’Angleterre se prêtent à des effets plus variés et imposent un travail plus rapide, une touche brève, une absence de fini qui annonce l’impressionnisme. Ces différences restent cependant purement contingentes. Fondamentalement, la prédilection pour le travail en plein air et l’attention aux « beautés météorologiques » relèvent d’un phénomène commun aux différents pays d’Europe.   

Pourquoi consacrez-vous une partie au mouvement des Macchiaioli ?

Dans la perspective du plein air et de impressionnisme, il m’a paru essentiel de réserver une section aux Macchiaioli. Ce mouvement très bref dure de 1855 à 1870 et reste relativement méconnu en France, malgré l’importante exposition du Musée de l’Orangerie en 2013. Il est très proche du pré-impressionnisme et les échanges entre Macchiaioli et leurs contemporains français, notamment Degas, sont nombreux. Comme leurs homologues français, ils décrivent la nature et la vie quotidienne de leurs contemporains. surtout, ils travaillent par larges taches de couleur — macchia signifie tache en italien. Si les peintres italiens sont plus engagés politiquement que leurs homologues français, c’est parce que l’Italie vit alors une période décisive de son histoire, celle de l’indépendance et de l’unité nationale.   

En quoi l’expérience de Corot et de l’École de Barbizon est singulière ?

Le rôle de la France est déterminant dans le développement de la peinture de paysage au XIXe siècle, où Paris est certainement la capitale des arts. Cela tient à deux éléments déterminants. D’abord l’émergence quasi simultanée de personnalités artistiques hors du commun qui, si elles appartiennent à des générations différentes ont l’occasion de se croiser. Corot, le père du paysage moderne, ne meurt qu’en 1875, un an après la naissance officielle de l’impressionnisme. En l’espace de quelques décennies, Corot, Courbet et Monet bouleversent radicalement l’histoire du paysage en peinture.

Un second élément reste très particulier, c’est l’extraordinaire diffusion de la pratique du plein air en peinture autour de l’École de Barbizon. Un phénomène qui touche une nombre inouï de peintres, toutes générations et toutes tendances confondues. C’est un raz de marée qui envahit la forêt de Fontainebleau où l’amour de la nature emporte les barrières esthétiques traditionnelles.

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