Guillaume Doucet : « J’ai été très touché par le mouvement #Metoo »

photo : DR

Le Groupe Vertigo entame ce lundi 12 avril une résidence d’une semaine à la scène nationale de Dieppe afin de poursuivre son travail sur une nouvelle création. Artemisia Gentileschi est le titre du spectacle et le nom de cette peintre violée par un ami de la famille, un artiste reconnu et soutenu par ses pairs dans la Rome de la Renaissance. En 1612, il y a eu un procès où la jeune femme talentueuse et courageuse a été humiliée. La compagnie, basée à Rennes, partira ensuite en Bretagne pour la création et peut-être au festival d’Avignon pour une série de représentations. Entretien avec le metteur en scène Guillaume Doucet.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce procès datant de 1612 ? 

C‘est la question politique. Il rejoint des combats que nous menons. J’ai été très touché par le mouvement #Metoo. Ce texte est la transcription d’un procès. Artemisia Gentileschi, une jeune artiste de 17 ans, a été violée par Agostino Tossi, un collègue de son père. Il peignait pour le pape et appartenait à un milieu élevé. Même s’il y a des pages manquantes, la plupart sont arrivées jusqu’à nous. C’est une matière incroyable, contemporaine, moderne. Quatre siècles plus tard, peu de choses ont changé. En France, on leur donne même des César… Avec l’histoire d’Artemisia Gentileschi, on assiste à une décrédibilisation de la victime. On l’oblige à un examen gynécologique, à raconter son agression et l’homme a le soutien du pouvoir et de la profession.

Qui est Artemisia Gentileschi ?

Elle est la plus grande artiste avant le XIXe siècle. Elle a été une peintre immense qui a été effacée des mémoires. Certains de ses tableaux ont été attribués à d’autres, notamment à son père. Des chercheurs américains l’ont réhabilitée et il y a eu une grande exposition à Londres.

Quelle Artemisia Gentileschi souhaitez-vous faire découvrir ?

Il a fallu l’imaginer. D’elle, il reste des tableaux, des traces réelles et fantasmées de sa vie. Plusieurs choses m’ont ému. Après son agression, elle reste une femme combattante. Elle est droite dans ses bottes, voire rentre-dedans. Elle est aussi efficace dans ses prises de parole et a beaucoup d’humour. Dans cette pièce, je la traite comme une héroïne actuelle. On manque de figure matrimoniale forte. Artemisia Gentileschi est loin de la vision que l’on a de la femme à l’ère classique. Cette femme qui minaude, s’habille, se maquille… Non, Artemisia parle de matières, voyage seule, se sépare de son mari..

Quelle est la part de fiction dans cette création ?

Dans le spectacle, nous suivons l’instruction, les grandes étapes avec les rebondissements. Nous avons ramené de la fiction, de l’imaginaire. Je ne souhaitais pas rester dans le documentaire mais donner de l’épaisseur et faire résonner ce texte avec le présent. Il y a quatre personnages : la victime, l’agresseur, le juge et la principale témoin qui peut faire basculer le procès. Il y a aussi une foule de petits personnages qui sortent des tableaux.

« Tout ce qui a été fermé doit être ouvert »

Comment vous êtes-vous organisé pour mener à bien cette création pendant cette année ?

C’est compliqué. Jouer, c’est impossible. Répéter, ça l’était aussi puis nous avons pu travailler à la fin du printemps. C’est dur pour tout un secteur. Un grand nombre de représentations du Pronom ont été annulées. Beaucoup de compagnies perdent de l’argent. Des artistes ont peur de perdre leur statut d’intermittent. Une grande partie va sortir du système. Quant au débat entre les activités essentielles et non-essentielles, ce sont des questions de société. Pour moi, tout ce qui a été fermé doit être ouvert. Nous savons que la question est politique et culturelle pour le coup. Je prends le tram, le métro et je vois que c’est dangereux. Il y a aussi tout un tas de circuits économiques qui fonctionnent et ne sont pas essentiels au bien-être et à l’épanouissement personnel. Le mental est peu pris en compte. Ma grand-mère est décédée de solitude parce qu’elle n’avait plus de visite..

Est-ce inutile, comme l’a dit la ministre de la Culture, d’occuper les théâtres ?

Nous n’avons pas été surpris par cette parole. Il y a un grand mépris par cette classe politique. Cette phrase est l’illustration de ce mépris. Elle est juste dans la communication et n’a pas les mains libres pour agir.

Comment avez-vous vécu cette année de pandémie ?

Au début, j’ai été, comme tout le monde, sidéré. J’avais un travail d’écriture pour le cinéma et j’ai pu avoir ce temps pour le faire. Est arrivé l’été avec l’annulation des festivals. Tout est devenu plus dur et compliqué à la rentrée. C’est difficile de prendre de la distance. Cette épidémie occupe tellement l’esprit qu’elle a rayé l’imaginaire. Heureusement, au théâtre, nous sommes plusieurs. Nous avons besoin de pouvoir échanger.