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Jean-Christophe Aplincourt : « Nous partons dans l’idée que Rush aura lieu »

photo Marie Monteiro

La reprise dans les salles de musiques actuelles se fait tout doucement, avec prudence. Pas de concerts avec un public debout en train de danser mais assis en respectant une certaine distance. La fête est moins joyeuse et la programmation, adaptée aux contraintes sanitaires. La fête est là cependant. Entretien avec Jean-Christophe Aplincourt, directeur du 106 à Rouen.

De nombreux concerts sont reportés, voire annulés. Est-ce que le monde des musiques actuelles est plongé dans un désarroi ?

Nous avons passé ce cap. Aujourd’hui, le pragmatisme prend le dessus sur l’abattement. Notre savoir-faire nous permet de faire face à la crise. Nous avons pris acte. Depuis plusieurs mois, nous savons que cela va durer. Même si l’univers est contraint, cela nous permet de nous projeter.

Comment envisager une saison avec des concerts alors que le public doit être assis ?

Les concerts avec un public debout sont une caractéristique des musiques actuelles. Il a fallu un temps pour que l’on propose des concerts assis. C’est une mutation délicate. Les philosophes parlent de point d’écoute pour aborder la manière dont on se met en condition pour écouter la musique, dont le corps est investi. La position assise amène à une autre écoute qui est plus distanciée et plus attentive mais moins participative et moins interactive. Nous apprenons à travailler avec cela mais ce n’est pas facile. Il y a plein de musiques rétives.

Cela pose en effet un problème de pluralité.

C’est un problème par rapport à la scène métal, au hip-hop, à l’électro, à toutes les musiques qui se dansent. On a du mal à imaginer Didier Wampas devant un public assis. Cela amoindrit l’espace pour certaines esthétiques et l’augmente pour d’autres. Comme les propositions acoustiques, françaises et européennes puisqu’il n’y a pas de circulation transcontinentale. Cela modifie les paramètres. En septembre et octobre, nous avons gardé ce qui pouvait être sauvé. Nous reconstruisons pour novembre et décembre avec des artistes qui s’adaptent. Ce sera la même chose de janvier à mars.

Qu’en sera-t-il des festivals ? Est-ce que Rush aura lieu en 2021 ?

L’incertitude est encore plus préjudiciable aux festivals. À cette période de l’année, ils s’anticipent déjà au niveau artistique. Pour Rush, nous sommes relativement sereins. Vu l’espace disponible — c’est du plein air — et vu le format du festival, nous sommes moins contraints que Les Vieilles Charrues. Nous partons dans l’idée que Rush aura lieu. Sauf si un dispositif particulier est mis en place. 

Est-ce que Le 106 fêtera ses 10 ans en novembre 2020 ?

Non, ce sera en 2021. Pour ces 10 ans, nous avions imaginé un gros événement festif avec plein de disciplines artistiques et de circulation dans Le 106. C’est incompatible aujourd’hui. Nous sommes obligés de reporter le projet. 10 ans de concert ne peuvent se fêter dans un environnement aussi monacal.

Les jauges sont restreintes. Est-ce que les économies des salles sont plus fragiles ?

Les salles fragilisées sont les salles qui ont un très fort taux de recettes propres. Comme La Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, Le Bikini à Toulouse ou La Laiterie à Strasbourg… Elles ont économie privée plus importante que l’économie publique. Le 106 est 50-50 et n’est pas en péril. Il y a aussi les dispositifs d’aide de l’État, des régions, du centre national de la musique… Ce sont des filets de sécurité qui font la beauté de la France. Il y a tout de même un impact sur les salariés temporaires. Nous faisons travailler moins de personnes, moins de techniciens. 

Comment Le 106 continue d’accompagner les artistes ?

Nous avons des résidences. Nous allons accueillir Médine, Bachar Mar-Khalifé, la chanteuse de The Do, Olivia Merilahti. Avec les artistes régionaux, la visibilité est toujours importante avec les Lomax Experience. Nous continuons notre travail d’accompagnement et d’action culturelle. La production de contenu numérique est en pleine expansion. Le plus dommageable, c’est pour la diffusion. Le cycle de vie des artistes est perturbé. C’est perturbé mais il y a une bienveillance. Ce qui est heureux. En Angleterre, on parle de décrochage. Il se peut qu’il y ait des fermetures de salles. Beaucoup de musiciens vont changer de travail. Pour peu qu’ils aient plus de 35 ans. 

© Marie Monteiro