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Julia Vidit : « les femmes sont la monnaie d’échange »

Le Menteur, c’est Dorante. Ce jeune homme aime s’inventer des vies pour charmer et trouver une place dans un monde où tout n’est qu’apparence. Quand il revient à Paris, il va courtiser Clarice qu’il confond avec sa cousine Lucrèce. Or son père lui demande d’épouser une Clarice qui s’est amusée à changer de rôle avec sa cousine. Une stratégie pour observer Dorante. Le Menteur, une pièce de théâtre de Corneille jouée en 1644, enchaîne les quiproquos, les mensonges et les vérités. Julia Vidit, metteuse en scène de la compagnie Java Vérité, s’est emparée de cette comédie baroque sur l’individualisme, la représentativité, la place de la femme… C’est jeudi 5 mars à la scène nationale de Dieppe. Entretien avec Julie Vidit.

Dans cette pièce, est-ce que Corneille ne joue pas avec le mensonge pour révéler encore mieux la vérité ?

C’est tout l’enjeu et aussi le paradoxe de la pièce. Moralement, on condamne le mensonge. Mais, sans menteur, il n’y a pas de théâtre et pas de plaisir. Dans ce texte de Corneille, Dorante se prend les pieds dans le tapis. Il est conscient que c’est un jeu pour interroger la confiance. Quand il parle, il ment. Il est obligé de mentir, de se mentir pour supporter la réalité. C’est inévitable. Le mensonge devient un kit de survie.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Au XVIIe siècle, le mensonge est dans les discours oraux et écrits. Les mots sont des armes et les ingrédients d’une plaidoirie. Aujourd’hui, nous vivons dans le monde de l’image. On fait parler les images. Comment est-il alors possible de garder l’intégrité face à ces images ? C’est pour cette raison que j’ai travaillé sur une scénographie avec un jeu de miroirs. Cela permet un autre niveau de lecture de la pièce et de la faire résonner autrement. Ces miroirs sont le reflet déformé de notre image. Nous sommes conscients tout le temps que nous sommes confrontés à de grosses déformations des images qui circulent, qui bouffent le paysage et la pensée. Il est difficile de digérer tout cela, de faire la distinction entre le vrai et le faux. Comment faire le tri ? Dans Le Menteur, Dorante ment et chaque personnage va être relié au mensonge, à la crédulité et l’incrédulité. Comment faire pour être crédible ? Chaque personnage a un rapport différent au mensonge.

Comment alors jouer un mensonge ?

Je suis fascinée par cette question du vrai et du faux. Au théâtre, tout est faux. On fabrique de l’illusion pour accéder au vrai. On revient un peu à votre première question. Nous sommes dans des conventions sociales d’un monde imaginaire. C’est une lecture fantaisiste du XVIIe siècle. Corneille a écrit une comédie à un moment où son protecteur, Louis XIII, meurt. Dans cette pièce, il prévoit la concentration des pouvoirs. Louis XIV a une cour ultra puissante. Corneille a été assez visionnaire. La pièce est inspirée d’un texte espagnol, La Vérité suspecte, qui finit mal. Même si Dorante est piégé, l’histoire finit bien parce que Corneille répond aux conventions de son temps. Cela annonce Marivaux.

Comment avez-vous travaillé l’alexandrin ?

Nous avons été dans le concret dans la façon de dire l’alexandrin. Il ne faut pas faire semblant, ne pas entrer dans une rythmique qui ne porte plus le sens. Dans cette pièce, les vers sont très actifs. Chacun porte une idée, une action. Je prenne donc un vers vivant et concret. Nous avons opté pour un rythme qui colle à la langue française.

Quelle est la place des femmes dans Le Menteur ?

Dans Le Menteur, les femmes sont la monnaie d’échange, restent les jouets du masculin. Le mariage est arrangé. Il y a chez les cousines une volonté d’émancipation. Les rôles des femmes sont cependant un peu faibles. Nous avons décidé d’en doubler avec le rôle d’une suivante. C’est un travestissement. Comme un double féminin de Dorante. Cela rend les choses plus ludiques.

Infos pratiques

  • Jeudi 5 mars à 20 heures à la scène nationale de Dieppe.
  • Tarifs : de 23 à 10 €.
  • Réservation au 02 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr